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VOYAGES.

Jadis — je ne sais jusqu’où cela remonte, mais il faut bien le croire, puisque c’est passé à l’état de tradition — jadis, on donnait, paraît-il, des repas sur le train même du Pacifique ; dans ces temps primitifs, le voyageur avait le temps de manger, il le prenait à sa guise, il choisissait son heure et il pouvait apporter à son repas la distribution classique à laquelle nous sommes habitués ; son estomac ne souffrait point de violences ni d’attaques à l’improviste ; on lui laissait le droit de digérer, qui est un des droits de l’homme non inscrits dans les constitutions, mais aujourd’hui la route du Pacifique est trop peuplée ; il s’est établi trop de villages et trop de stations pour que l’estomac ait pu conserver le premier de ses droits. Au restaurant du train on a substitué des restaurants placés de distance en distance, que ne peuvent plus saccager les Indiens, mais qui en revanche donnent une mort certaine à celui qui s’y arrête assidûment. On y arrive sans appétit, mais il faut manger, et manger à la course, parce qu’on en aura ensuite pour six ou sept heures à attendre, à moins qu’on ait apporté avec soi son panier de provisions.

Oh ! le panier de provisions, parlons-en. Voilà encore une illusion ! je n’ai pas vu de voyageurs qui, après avoir développé et renveloppé pendant deux ou trois jours leurs petits paquets de gâteaux, de jambon, de langue salée ou de poulet froid, n’en eussent par-dessus les oreilles de ce trouble vulgaire qui ajoute encore à la monotonie du voyage. Descendre au restaurant, même pour en revenir avec des spas-