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VOYAGES.

Une centaine de bœufs, marchant l’un derrière l’autre, insensibles aux mugissements furibonds d’une locomotive, c’est un spectacle ! Et puis, on croit leur trouver un certain air sauvage ; il est impossible d’habiter ainsi la plaine immense en qualité de bœuf sans finir à la longue par avoir quelque chose de farouche, au moins dans le regard…… mais c’est une illusion ; la bête-à-cornes domestique ne se transforme pas, et c’est en vain que l’œil avide du voyageur cherche sur elle la bosse poilue du buffle qui lui donnerait tant de jouissances !

Quand le troupeau a fini de passer, c’est au tour du train qui reprend son allure, lente, aussi, oui, bien lente, car il semble que tout est calculé sur cette maudite route pour que le désespoir ait le temps de mûrir dans le sein des voyageurs. Le chemin de fer du Pacifique ne fait pas plus de dix-huit à vingt milles à l’heure, depuis Omaha jusqu’à Sacramento, en Californie, une distance de sept cent soixante lieues.

Il ne suffit pas d’être un chemin de fer pour aller vite, il faut être plusieurs chemins de fer, j’entends qu’il faut la concurrence qui est toujours un surcroît de vapeur et qui fait redoubler de vitesse. Le chemin de fer du Pacifique étant la seule ligne qui traverse le continent, il le fait comme bon lui semble ; le premier point est de ménager autant que possible la machine et les ressorts et les roues ; le second point est de rendre les passagers à destination. Qu’on mette pour cela trente à quarante heures de plus, c’est secondaire ; si le voyageur a un surcroît d’énervement et d’irritation, cela ne regarde pas la compagnie : on lui offrira comme consolation une ponctualité rigoureuse dans les heures d’arrivée et de départ.