Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
VOYAGES.

mais on ne voit plus d’Indiens que des misérables, déguenillés, sordides, restes avilis de tribus guerrières, hommes et femmes, qui viennent eux-mêmes prendre le train ou mendier à l’approche des voyageurs. Ils n’ont pas conservé la plus légère teinte de cette poésie qui accompagne toujours la ruine, quelque lamentable qu’elle soit ; leur déchéance est hideuse et leur aspect repoussant ; ils sont tombés sans transition de l’état barbare dans l’abrutissement abject, et l’on se sent incapable de les plaindre en oubliant de suite ce qu’ils ont pu avoir autrefois de fierté et de liberté.

Quant aux buffles, ils ne sont plus aussi qu’à l’état de souvenir ; on ne trouve pas même de voyageurs qui se rappellent en avoir vus sur le parcours de la ligne. Quelquefois un troupeau de bêtes-à-cornes paissant en liberté s’avise de traverser la voie ; alors tout le monde regarde, le train ralentit et le sifflet de la locomotive fait rage afin de jeter quelque effroi dans les rangs de ces passants intempestifs, mais rien ne peut les émouvoir ni changer leur allure ; ils restent jusqu’à ce qu’on arrive sur eux, et alors lentement, un à un, ils défilent, comme s’ils avaient la conscience de narguer la supériorité humaine. Peut-être l’ont-ils…… c’est encore curieux ; la bête-à-cornes ayant des dérisions, c’est assez fantasque et assez inattendu pour faire rêver ! Toujours est-il qu’il faut les attendre, et cela, pour cinq, dix, ou même quinze minutes, suivant leur bonne volonté : or, la bonne volonté d’un bœuf, c’est tout ce qu’il y a de plus posé, de plus impassible, de plus méthodique. Que l’homme soit obligé de la subir, cela paraîtrait irritant ; mais les passagers du Pacifique sont reconnaissants de toutes les distractions, même de celles qui les retardent.