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jaillissant quand on les frappait l’un contre l’autre, produisait une odeur de souffre enflammé. Que n’ai-je pas vu encore ? je ne saurais tout dire ; j’étais sur un sol absolument étranger à tout ce que j’avais contemplé jusqu’alors, et j’oserais dire magique. Parmi les sables et la poussière des ardoises poussent des pruniers sauvages, petits arbrisseaux de vingt pouces de hauteur, dont le fruit est aussi savoureux que les prunes de nos vergers. À côté de ces arbrisseaux s’en élèvent d’autres qui donnent une fève également sauvage, en apparence semblable à la fève de jardin.

Pendant deux heures je contemplai, j’étudiai. À chaque pas je trouvais du nouveau ; je voudrais bien qu’il en fût ainsi de mes chroniques, mais je n’ai pas toujours des pruniers sauvages, des bolithes et des coquilles pétrifiées à offrir à mes chers lecteurs qui doivent être, à l’heure qu’il est complètement ahuris par le tableau de tant de prodiges. Et pourtant il n’y a pas dans ce récit un mot de trop ; mais je m’arrête ; me voilà parvenu à la fin de mon voyage et je veux me recueillir quelques instants pour conclure.

Lecteur, j’ai fait, depuis mon arrivée à Chicoutimi, vingt lieues en voiture et dix lieues en canot d’écorce ; j’en ai encore autant à faire pour retourner ; je t’ai raconté cela en quatre chroniques qui paient tout juste mes frais de voyage. As-tu quelque chose à me reprocher devant un pareil aveu que je ne saurais faire si je ne t’aimais plus que moi-même ? Pour toi je me suis assis, pendant dix heures, sur une planche sans dos, en proie