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à chaque instant ; il y en a un nombre incalculable, les uns très petits, d’autres assez grands, comme le lac Kénogami qui a cinq lieues de longueur, mais tous sont extrêmement profonds : dans chacun d’eux, la truite et le brochet abondent.

Le chemin public, ouvert au milieu d’un terrain aussi accidenté, en a tout le pittoresque et les inconvénients ; il faut monter et descendre à toute heure des côtes qui n’en finissent plus. Tantôt, c’est un sable chaud qui aveugle et qui étouffe pendant deux heures de marche ; tantôt ce sont les grands bois brûlés qui forment de chaque côté du chemin une forêt désolée, nue, noire et absolument dépouillée de rameaux et de feuillages. Tous les arbres sont rongés jusqu’au sommet, et, dans l’espace qui les sépare les uns des autres, l’œil ne distingue plus rien des lianes nombreuses, des taillis impénétrables qui les rassemblaient autrefois en forêts touffues, à moins que ce ne soient des souches calcinées qui dressent leurs débris noirs et informes, en attendant que la pluie et le vent les rongent et les rendent au sein de la terre pour fertiliser les arbustes naissants.

Ailleurs, les bois s’éloignent et l’on a des champs de blé et des prairies, mais toujours sans horizons ; la vue ne peut s’échapper au-delà des innombrables mamelons et coteaux, suivis à plus ou moins de distance de chaînons montagneux qui la bornent dans toutes les directions ; on a beau vouloir percer l’espace devant soi et chercher quelque éclaircie, quelque ouverture qui soulage de cette monotonie en quelque sorte asphixiante, on ne découvre rien que des monticules nouveaux s’ajoutant à ceux qu’on a laissés derrière