et fantastique région du Saguenay qui ne ressemble à rien de ce qui existe.
Néron, le charretier, abominable tyran, nous mène sur une « planche, » seul véhicule connu dans cette primitive contrée. Cette planche a deux sièges, hélas ! entre chacun desquels il y a un espace de quinze pouces pour nous permettre d’allonger nos jambes. Sa largeur est de trois pieds environ ; mais, je viens de le dire, Horace a de l’ampleur, ce qui me réduit à un amincissement que je n’aurais jamais rêvé, même en dormant dans un étau. Seul, sur le siège de devant, Néron devise de choses politiques, agricoles et autres. Il a oublié d’emporter de l’avoine pour Rossus, de sorte qu’il s’arrête à toutes les maisons de la route, pendant deux heures, et en demande au nom de tous les saints, mais inutilement. Il n’y a pas d’avoine dans le Saguenay, malgré les prodigalités du gouvernement provincial et l’envoi de semences qui a lieu régulièrement, mais qui n’arrive presque jamais à destination.
Rossus, qui a déjà monté un nombre infini de côtes, commence à battre de la ratte, son pas fléchit ; le despote Néron le flagelle en vain, Rossus ne répond que par un hoquet de croupion de plus en plus fréquent à chaque coup qu’il reçoit ; c’est sa manière à lui d’objecter. Le philosophe et moi nous avons des crampes ; cependant je descends de voiture pour monter chaque côte, j’ai fait ainsi près d’une lieue, car, il faut vous le dire, quoique nous soyons sur un plateau qui conserve un niveau uniforme jusqu’au lac Saint-Jean, en partant des hauteurs qui s’élèvent de Chicoutimi, ce plateau est néanmoins coupé, presque à chaque minute, de ravins et d’ondulations de toute sorte qui