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de faiblesse ; ils m’ont sucé jusqu’à l’imagination, et je les sens à cette heure, même en souvenir, comme s’il me passait un orage de feu entre la chair et la peau.

Horace, le Romain, qui leur a payé tribut pendant dix ans, ne les sent plus. Du reste, outre qu’il est un héros, Horace est encore un philosophe ; je vous le présente. C’est un ancien compagnon de collège devenu arpenteur de presque toute la région qui s’étend du Saguenay à Betsiamis, sur une profondeur de cinquante lieues. Quatre ou cinq fois propriétaire dans la vallée du lac Saint-Jean, il lui a pris fantaisie un jour de se bâtir un toit sur une petite île de deux milles de tour, située en plein dans le lac, à l’abri des hommes, et d’en faire sa résidence principale. Cette île s’appelle Helena, détail insignifiant, s’il ne me servait à faire une réflexion philosophique sur les faiblesses des héros. Horace a aimé jadis, une première fois, la meilleure pour lui comme pour nous tous, et c’est en souvenir de cet amour printanier qu’il a baptisé son île.

Ermite, philosophe, arpenteur, Horace, en cette triple qualité, a une barbe longue de quinze pouces, une charpente vigoureuse, un torse athlétique. Il possède les sciences par intuition ; seul, dans une région sauvage, sans livres, pendant de longs mois de l’année, il a réfléchi et observé au milieu de la vaste nature, il a questionné ce grand volume, toujours ouvert, où sans cesse s’ajoutent des pages nouvelles à des pages impérissables : aussi a-t-il découvert de nombreux secrets de géologie et explique-t-il, comme s’il l’avait vu se faire, la formation de cette étrange, gigantesque