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DERNIÈRE ÉTAPE



LE LAC SAINT-JEAN


Lecteur, je suis sur un plateau, à je ne sais combien de cents pieds au-dessus du niveau de la mer, et de cette hauteur où je plane sur ma patrie encroûtée, tu m’apparais comme un maringouin. Je flotte dans la plénitude du calme et de l’espace. Il est vrai que ce n’est pas là absolument du nouveau ; en Canada il y a du calme, de l’espace et des plateaux tant qu’on en veut ; mais dans cette monotonie générale on trouve encore de temps à autre à varier la scène ; le fond reste le même ; c’est toujours des montagnes, des forêts infinies, des rivières et des lacs, mais le degré d’intérêt diminue ou augmente suivant l’histoire, la physionomie et l’avenir probable des lieux qu’on parcourt.

Cette fois, je me suis enfoncé dans une région intérieure, déjà célèbre quoiqu’à peine ouverte, quoique toujours négligée par les gouvernements corrompus et corrupteurs ; je suis à trente-cinq lieues du grand fleuve, dans la vallée féconde et dédaignée du lac Saint-Jean, en compagnie d’un Romain des premiers âges qui s’appelle Horace, et d’un charretier, autre Romain, mais moins antique, qui s’appelle Néron. Le Bucéphale qui nous transporte est un latin de la décadence, qui a nom Rossus, ainsi baptisé, il y a seize ans déjà, par