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et les Modocs ont cent fois plus de plaisir que tous les Canadiens ensemble.

Dans le cours de l’hiver nous avons été plus d’une fois trois, quatre et cinq jours sans malles ; il n’y avait plus qu’à répéter les vieux cancans, à redire les médisances cent fois rebattues sur le compte de tous les amis possibles. Maintenant la malle arrive à peu près tous les jours, entre trois et quatre heures de l’après-midi ; mais chose étrange ! les cancans sont restés les mêmes. Oh ! les cancans, voilà une industrie nationale qu’aucune grève n’atteint. Pour les autres industries, c’est une grève continuelle dans Québec, une grève sans grévistes ! voilà le prodige de l’art. Vous en étonnez-vous ? C’est bien simple, c’est aussi simple que c’est accablant. Vous voulez, par exemple, fonder une entreprise nouvelle ; c’est une entreprise dont le besoin se fait sentir, dont les avantages sont démontrés, reconnus ; depuis longtemps on en parle, depuis longtemps on regrette de ne pas la voir établie. Vous vous mettez à l’œuvre avec des capitaux, mais pas tout à fait assez pour compléter le matériel ou l’outillage nécessaire ; naturellement vous vous adressez à ceux qui sont en mesure de vous faire des avances, de favoriser cette entreprise destinée immanquablement à réussir.

Vous frappez à la porte des capitalistes. Ici, un capitaliste, c’est un thésauriseur, un homme qui place dans les banques ou prête aux pauvres diables d’habitants afin de prolonger de deux ou trois années leur séjour en Canada. Il y a aussi un certain nombre de vieux bonshommes chétifs, râpés, aux collets reluisants, sorte de rats émaciés, sur deux pattes, qu’on croisait