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peindre. Je les plains d’avoir tant de devoirs à remplir en un seul jour, et d’en avoir si peu tout le reste de l’année, puisqu’il est entendu que nous vivons dans un pays de cocagne où la sinécure est l’objet légitime des plus honnêtes ambitions.

Mais, d’un autre côté, je les envie. La plupart d’entre eux ont une famille… oh ! la famille… Le matin, avant le jour, avant l’aube, il n’est pas encore cinq heures, les petits, ces petits qui donnent tant de mal et qui causent tant de joie, les petits enfants sont déjà debout : ils courent, ils accourent les bras ouverts, la bouche pleine de baisers, vers le lit où la maman, qui les épie déjà depuis plus d’une heure, sans faire semblant de rien, les reçoit sur son cœur frémissant, les couvre de caresses, leur trouve à chacun une place sur son sein gonflé de bonheur, les prend tous dans ses bras et les passe au papa qui pleure de joie et qui devient presque une mère, en oubliant tout dans cette heure unique, excepté ce qu’il a dans son cœur.

On entend ensuite, on voit les petits, tout rouges encore de tant de baisers, tout essoufflés, courir à la cachette des étrennes, ces trésors légers, parcelles fugitives détachées de cet autre trésor inépuisable, l’amour maternel.

Mais moi, ali ! moi qui n’ai même pas eu de berceau et qui n’ai pas connu ma mère, moi, condamné solitaire dès ma naissance, je ne connais le jour de l’an que le bonheur des autres, et son fatal retour et son inexorable fuite. Comme chaque jour de ma vie, je me suis éveillé le jour de l’an de cette année dans le froid et dans l’étreinte de l’isolement. J’ai regardé le ciel ; pour moi, il était vide. J’ai promené mon regard désolé autour