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misères qui rattachent son cœur à la terre ; là étaient l’énergie, le travail, la foi, l’avenir. Dans le cœur il n’y a que faiblesse et découragement ; dans la pensée il y a l’espérance, la force et l’élévation.

Que serait donc notre œuvre ici-bas si tout se bornait à fléchir sous le premier sentiment qui envahit notre âme, ou devant les tristes déceptions des affections rompues ? À quoi servirait l’existence si l’on ne devait pas être plus fort que tous les maux et si le premier souffle devait tout emporter ? Il n’y aurait aucune dignité à vivre, et loin d’être les maîtres, nous serions les esclaves de la nature.

Avant de vouloir mourir, sache donc au moins ce que c’est que de vivre. Embrasse un instant l’immensité des choses de cet univers qui toutes se rattachent à l’homme ; vois ce que tu quittes en quittant la vie, et reporte ensuite ta pensée sur l’objet misérable qui égarait ta raison ; tu rougiras de ta faiblesse. Écoute ! tu as vingt ans et tu as connu le bonheur ; il est donc possible pour toi ! Ton cœur s’est brisé ; mais lorsque tu étais heureux, tu ne concevais pas que ton bonheur pût finir. Aujourd’hui tu souffres, et tu ne veux pas croire que ta souffrance cessera. L’homme étant le jouet des événements, l’espoir seul peut le rendre heureux. Avant d’y renoncer, demande-toi donc s’il est des choses éternelles ici-bas, et si la cause de ton malheur présent ne sera pas celle de ton bonheur futur.

Tu désires ce qui est éternel. Eh bien ! vis pour savoir que tes affections ne le sont point. Vis pour souffrir, puisque c’est là ta condition ; plus tard tu