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gante s’y précipite par un temps qui rajeunit de dix années comme celui d’hier, c’est un alali, une fanfare, un chassé-croisé enivrant, des figures jeunes et fraîches qui passent avec un sourire qu’on retrouve cinq minutes après en les revoyant ; des matrones, enveloppées de fourrures, qui s’abandonnent au glissement de leurs sleighs longs et dociles, un tintement de grelots sur tous les tons, sans vacarme, mais joyeux et heureux, le trot mis en musique.

Tout se montre, tout se pare, éclate et pétille d’allégresse.

Ah ! de toutes les choses suaves de ce monde, il n’en est pas de comparables à une belle soirée d’hiver en Canada, sous la lumière égale et douce d’une lune sans rayons qui illumine l’espace entier de son regard. Qu’il est beau, durant ces éclatantes nuits, sous un ciel blanc comme le lait, de regarder les longues raies des aurores boréales courir sur la neige éblouissante ! Quelle mélancolie profonde, quelle poésie méditative se répandent sur les campagnes endormies dans un lointain horizon ! Tout est plainte et murmure parmi les branches dépouillées des bois de sapin. La lune, solitaire, dans un ciel sans nuages, regarde avec une sorte d’attendrissement maternel cette terre inanimée que la neige couvre comme un linceul. Les montagnes, moitié ombre, moitié lumière, apparaissent informes. Le Saint-Laurent, emprisonné par les glaces jusqu’à une lieue du rivage, roule loin de ses bords des eaux pesantes et muettes qu’aucun navire ne sillonne plus. Mais, dans cette transparence lumineuse du firmament, dans cet immense désert de l’espace muet, il y a parfois quelque chose de désolé, semblable aux couvercles