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acclamant l’élu ; j’avais comme un transport d’impatience, et à peine habillé, je me précipitais dans la rue pour respirer l’atmosphère brûlante de la foule. Il était dix heures ; de loin j’aperçus le husting, je courus vivement, croyant entendre déjà le peuple frémissant appeler son idole, j’arrive… désert ! Pas un être vivant auprès de ce husting qui semblait s’être dressé seul au sein de l’oubli ; pas un passant qui s’arrêtât même pour le regarder ; aucun groupe, pas de curieux, et les ouvriers de cette œuvre improvisée l’avaient fuie comme frappés de remords. Alors je montai, lentement cette fois, le cœur saisi, jusqu’à la demeure de l’honorable Hector ; celui-ci avait convié ses amis à venir le chercher pour se rendre à la nomination des candidats. Là, rien non plus, pas un signe de manifestation, pas le plus petit rassemblement, pas une tête aux croisées des maisons. « Est-ce une illusion, me demandai-je, et me serais-je trompé de jour ? » J’arrêtai quelques amis ; ils me dirent que c’était bien aujourd’hui, vendredi, le 9 juin. Ils me regardèrent, étonnés, et continuèrent leur route ; moi, je restai sur place, les yeux rivés sur cette maison où devaient s’agiter en ce moment de si grandes espérances. Je restai là près d’une demi-heure, fixé dans cette contemplation indécise qu’on éprouve au sein des solitudes, puis je partis comme un boulet pour le lieu de la nomination, déterminé à ne pas rêver les yeux tout grands ouverts.

Là je trouvai à peu près deux cents individus se regardant les uns les autres, se faisant des questions, se demandant quelle était cette plaisanterie, puis enfin l’officier-rapporteur juché sur le husting comme un merle sur son perchoir. Tout à coup il se fait un petit