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CHRONIQUES

« Enfin, après des efforts surhumains, comme je me retournais haletant, couvert de sueurs, résigné à la mort, je jetai un dernier regard vers le haut de l’arbre ; … j’y vis deux yeux flamboyants et une tête d’ours penchée qui semblait interroger la profondeur ; puis, en une minute, la tête se changea en derrière et l’animal commença à descendre lentement dans cette position. « Sauvé ! je suis sauvé ! » m’écriai-je, et j’attendis avec lenteur, jusqu’à ce que le derrière de l’ours étant arrivé à la portée de mon bras, je m’élançai dans un effort suprême, le saisis vigoureusement par le poil avec mes deux mains, et l’animal effrayé, furibond, mugissant, se remit à monter dans le creux de l’arbre. Arrivé au sommet, je me jetai au dehors et tombai près de mon fusil. L’ours resta à me regarder quelques minutes comme se donnant à tous les diables pour savoir ce que cela voulait dire ; puis il descendit gravement, silencieusement, dans son trou. Pour moi, je partis à grands traits, impatient de brûler un cierge en l’honneur de saint Hubert.»

— « Voilà, père, une histoire que je raconterai aux gens de Montréal, lui dis-je. Ils aiment l’invraisemblable et sont un peu blasés sur les prodiges. Pourtant il leur reste encore assez de naïveté pour se confier en tout à l’auteur des chroniques du National. Après celle-ei, je tirerai l’échelle. »



18 Août.

Me voici maintenant à la montagne de fer titanique de Saint-Urbain [urbanus sum]. Pour y arriver, j’ai