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CHRONIQUES

le savez, est entre MM Tremblay et Cimon. Le premier essaie d’instruire les gens, — tâche difficile, — le second essaie de badiner avec eux ; mais sa plus forte plaisanterie a consisté jusqu’à présent à répandre des galons de Whisky qui semblent inépuisables.

Quand on pense que le whisky est encore parmi nous le premier des engins électoraux, le plus fort des arguments, et que c’est là la règle générale de presque tous les comtés, on se sent pris d’une indignation vertueuse comme celle que j’éprouve en ce moment, et l’on n’a plus qu’un amour très borné pour ses semblables. Si le semblable n’était pas le prochain, il y a longtemps que je ne l’aimerais plus comme moi-même pour l’amour de Dieu. À voir ces hommes grossiers, ignorants, bien plus semblables à leurs bœufs qu’à nous, ce troupeau hébété et souvent féroce, devant lequel on se jette à genoux pour solliciter des suffrages, l’envie vient aux natures délicates et cultivées d’aller vivre sous l’empire du grand Lama — ou du roi de Birmanie dont je me rappelle en ce moment un des passe-temps ordinaires ; je ne puis m’empêcher de vous le faire connaître.

Un jour, trois généraux de l’armée birmane déplurent au souverain « aux pieds d’or, » (pas comme les miens), en éternuant en sa présence ou en commettant quelque crime analogue. Sa Majesté les condamna au pal, — supplice asiatique des plus amusants.

Les trois généraux furent en conséquence assis sur trois paratonnerres, tandis que le roi les regardait s’enfoncer, en dégustant une tasse de thé. Une idée des plus comiques lui traversa la cervelle : il ordonna à trois bourreaux de fourrer des brins de paille dans le