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CHRONIQUES

meurtres commis par des hommes portant des noms très huppés ; l’adultère fleurit plus que jamais, et le deuil universel qui a couvert la France pendant deux ans n’a rien changé à ses mœurs. La même frivolité, la même avidité des plaisirs rapides et bruyants, ont repris l’allure échevelée qui semblait provenir de l’impulsion donnée par l’empire, tandis qu’ils ne sont en réalité que le trait distinctif d’une époque. Aucune œuvre sérieuse, inspirée, forte, n’est sortie encore des terribles événements qui ont marqué la guerre avec la Prusse ; la littérature, réfugiée dans le domaine pur et simple de l’actualité, ne travaille, comme sous l’empire, que pour le lecteur pressé ou pour l’oisif.

Le faire, l’habileté, les ressources du style sont restées les mêmes, et c’est là le mérite le plus incontestable des écrivains français d’aujourd’hui. Ils n’aspirent, pour la plupart, qu’à un certain succès de vente facile et d’estime bourgeoise qui les empêche de se livrer à des visées plus hautes, et, par cela même, moins accessibles à leur clientèle. De là viennent ces compositions frivoles, spirituelles et légères, dans lesquelles on se complaît par-dessus tout ; de là vient aussi cette fuite en quelque sorte systématique du sujet sérieux, de l’œuvre qui fait penser ; de là cette préférence trop accentuée pour ce qui amuse ou seulement fait sourire.

Il en est ainsi des beaux-arts. L’exposition artistique de 1872 a révélé la même insouciance de l’idéal, la même recherche des réalités sensibles, la même habileté consacrée à la reproduction des détails, le même sentiment exact et scrupuleux de la nature, mais d’une nature que les peintres ne songent plus à élever, à purifier, à embellir, oubliant que l’art est encore moins