Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
CHRONIQUES

trouve généralement un groupe d’abrutis qui ont déjà absorbé trois ou quatre verres et qui sont ravis de pouvoir renouveler la « consomme » avec les nouveaux arrivants. On s’attable et l’on imbibe ; cela enlève vingt minutes au temps. Ceux qui ne sont pas tout à fait blasés retournent dans la rue Saint-Jean voir passer et repasser les mêmes binettes. La seule distraction est de se saluer ; aussi il y a de mes amis qui font du salut une véritable gymnastique. Qu’ils soient heureux et que Dieu les bénisse !

De la conversation, point. Et de quoi causer ? Dans ce milieu oisif, dans ce coin isolé du monde, entouré de montagnes, de quoi parlerait-on et qui peut avoir des idées ? Aussi l’homme d’étude en est-il réduit à vivre de lui-même. C’est monotone.

On a tort de croire que nos forêts se dépeuplent. Québec les remplace ; la plante des arbres est une véritable fureur dans notre ville cette année. Seulement, ces arbres n’ont pas de feuilles ; j’ai entendu dire que Montréal allait nous expédier une cargaison de nouveaux arbres ; hâtez-vous, si vous voulez qu’ils aient le temps de prendre, car l’hiver va bientôt revenir ici ; le fait est que nous n’en sommes pas encore sortis, et que le vent de nord-est a remplacé les tempêtes de neige qui n’en pouvaient plus de sept mois d’hiver. Le nord-est, à Québec, est une véritable institution, aussi immuable, aussi indestructible que le mixed bitters.[1]

Il y a ici quantité de vieilles dames et de vieux messieurs qui ont de gros revenus et qui ne savent qu’en

  1. Mélange de différentes boissons.