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CHRONIQUES

DEUXIÈME CAUSERIE

Êtes-vous Carliste, mon cher directeur, ou Amédéiste, ou progressiste, ou frontiériste ? Je présume que vous n’êtes pas encore tout à fait fixé sur tous ces points et que même vous y mettez quelque indifférence. Cependant il y a des gens qui viennent au monde avec une opinion toute faite. Ainsi il paraît qu’on naît Carliste dans la Navarre et dans la Biscaye, absolument comme en Auvergne on naît porteur d’eau, blagueur dans la Gascogne, et conservateur dans les concessions du Canada, ce qui est une autre manière d’être blagueur.

Quant à Don Carlos, lui, il est carliste incontestablement. Seulement, il l’est moins que beaucoup de ses partisans, absolument comme il y a des catholiques beaucoup plus catholiques que le Pape. Pendant qu’on s’administre quelques petites tripotées dans les montagnes de la Navarre, Don Carlos est devenu depuis quelque temps déjà invisible, introuvable. Pour passer et repasser la frontière d’Espagne il a pris cinq jours ; son père, lui, avait trouvé le moyen de soutenir la guerre civile en Espagne pendant cinq années, à partir de 1834, dans ces mêmes montagnes de la Navarre et de la Catalogne, contre les Christinos, ou partisans de la reine Christine. En Espagne, on fait des noms, comme on veut ; c’est ainsi que l’appellation de frontiériste a été donnée aux prétendants ou autres qui traversent la frontière pour faire du tapage. Il y a une opinion politique qui consiste à passer la frontière d’Espagne, de même qu’il y en a une pour enjamber la frontière du Canada et la repasser l’instant d’après,