Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le commérage est l’industrie spéciale et perfectionnée de ses matrones. Quelle espèce endiablée ! Si encore le cancan n’était que la médisance ! mais il faut entendre les fables absurdes, les récits grotesques, imaginés on ne sait par quelles têtes malfaisantes, qui se débitent et sont acceptés comme monnaie ayant cours ! C’est une atmosphère d’épingles qui vous rentrent dans la peau de tous les côtés. Vous cherchez un abri et vous croyez le trouver dans une amitié sincère, sympathique, bah ! c’est là que vous vous faites écorcher pour la vie. Je connais des gens qui, à proprement parler, ne se quittent pas, qu’on voit presque toujours ensemble, eh bien ! c’est afin de ne se rien laisser sur les côtes. Quel appétit les uns des autres, et quel ver rongeur que la langue d’un ami, d’une amie surtout ! Ô Dieu ! aimer tant les femmes et être obligé de les fuir…

Les fuir ! et où ? On ne peut pas faire deux pas dans les rues de Québec sans se rompre les doigts ou se désarticuler la cheville du pied. Tous les faits divers des journaux sont formés de gens aux trois quarts démolis pour avoir cru marcher sur des trottoirs, quand ils n’étaient que sur des tronçons vermoulus qui vous sautent à la figure dès qu’on les touche. Et les chemins ! des effondrements. Fuyez quand une voiture passe ; sans cela elle vous couvrira, de la tête aux pieds, d’une boue qui ne voudra plus partir. Tout est par trous et bosses ; aussi il faut voir les voitures sauter là-dedans, essieux et brancards disloqués, chevaux cassant leurs traits, piétons à la recherche des endroits guéables, et pourtant ! peu d’accidents. C’est fait exprès.