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CHRONIQUES

che, celle du gouverneur du Manitoba est très bien. Dès qu’il apprit que les féniens avaient été capturés par les troupes américaines, il lança un ordre du jour à son peuple en armes : « Les féniens sont près, s’écria-t-il ; gens de Manitoba ! tenez-vous le corps raide. Dieu sauve la reine ! »

Dieu sauve toujours la reine sans rire dans ces grandes occasions-là. Je ne sais si l’écrivain de premier ordre l’a remarqué, mais je vous jure que rien n’est plus exact. Ce n’est cependant pas précisément la reine qui est attaquée quand les féniens débouchent sur nos domaines. Voilà pourquoi ces proclamations énergiques, mais idiotes, me donnent le rire des hommes.

On ne croirait jamais quelle quantité de vieille ferraille il y avait dans Québec. C’est le départ du dernier régiment de la garnison qui nous le dévoile. Canons éclopés, obus rouillés, mortiers infirmes, tout cela dégringole des remparts. Remarquez que ces instruments de destruction étaient là depuis un siècle à essuyer tous les temps, sans avoir une chance d’essuyer le feu de l’ennemi, malgré les provocations de M. Cartier : c’est sans doute ce qui a hâté de beaucoup leur vétusté ; on ne reste pas indéfiniment dans l’attente sans se rouiller. Les officiers et soldats anglais le sont autant que les canons ; ils avaient fini par s’enraciner au sol, par prendre goût à cette carrière militaire, présage, au Canada, d’une paix éternelle, et ça les contrarie d’être envoyés si prématurément sur le champ de bataille de Dorking, mais ils ont déjà des