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XXXI
PAR CONDORCET.

pressions extraordinaires ; si l’un ôte aux vérités abstraites leur sécheresse en les rendant par des images brillantes, l’autre présentera des demi-pensées que des métaphores bizarres rendent inintelligibles. Le modèle a parlé de tout avec chaleur, parce que son âme étoit toujours agitée : le froid imitateur cachera son indifférence sous des formes passionnées. Dans ces écrivains, les défauts tiennent souvent aux beautés, ont la même origine, sont plus difficiles à distinguer ; et ce sont ces défauts que l’imitateur ne manque jamais de transporter dans ses copies. Veut-on les prendre pour modèles, il ne faut point chercher à saisir leur manière, il ne faut point vouloir leur ressembler, mais se pénétrer de leurs beautés, aspirer à produire des beautés égales, s’appliquer comme eux à donner un caractère original à ses productions, sans copier celui qui frappe ou qui séduit dans les leurs.

Il seroit donc injuste d’imputer à ces grands écrivains les fautes de leurs enthousiastes, de les accuser d’avoir corrompu le goût, parce que des gens qui en manquoient les ont parodiés en croyant les imiter. Ainsi, on auroit tort de reprocher à M. de Buffon ces idées vagues, cachées sous des expressions ampoulées, ces images incohérentes, cette pompe ambitieuse du style, qui défigure tant de productions modernes ; comme on auroit tort de vouloir rendre Rousseau responsable de cette fausse sensibilité, de cette habitude de se passionner de sang-froid, d’exagérer toutes les opinions, enfin de cette manie de parler de soi sans nécessité, qui sont devenues une espèce de mode, et presque un mérite. Ces erreurs passagères dans le goût d’une nation cèdent facile-