Page:Buffon - Oeuvres completes, 1829, T01.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXX
ÉLOGE DE BUFFON

fre à eux ; mais ils savent en éloigner tout ce qui nuiroit à l’harmonie, à l’effet, à la clarté : tels furent Despréaux, Racine, Fénelon, Massillon, Voltaire. On peut sans danger les prendre pour modèles : comme le grand secret de leur art est de bien exprimer ce qu’ils pensent ou ce qu’ils sentent, celui qui l’aura saisi dans leurs ouvrages, qui aura su se le rendre propre, s’approchera d’eux, si ses pensées sont dignes des leurs ; l’imitation ne paroîtra point servile, si ses idées sont à lui, et il ne sera exposé ni a contracter des défauts, ni à perdre de son originalité.

Dans d’autres écrivains, le style paroît se confondre davantage avec les pensées. Non seulement, si on cherche à les séparer, on détruit les beautés, mais les idées elles-mêmes semblent disparoître, parce que l’expression leur imprimoit le caractère particulier de l’âme et de l’esprit de l’auteur, caractère qui s’évanouit avec elle : tels furent Corneille, Bossuet, Montesquieu, Rousseau, tel fut M. de Buffon.

Ils frappent plus que les autres, parce qu’ils ont une originalité plus grande et plus continue, parce que, moins occupés de la perfection et des qualités du style, ils voilent moins leurs hardiesses ; parce qu’ils sacrifient moins l’effet au goût et à la raison ; parce que leur caractère, se montrant sans cesse dans leurs ouvrages, agit à la longue plus fortement et se communique davantage ; mais en même temps ils peuvent être des modèles dangereux. Pour imiter leur style, il faudroit avoir leurs pensées, voir les objets comme ils les voient, sentir comme ils sentent : autrement, si le modèle vous offre des idées originales et grandes, l’imitateur vous présentera des idées communes, chargées d’ex-