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cinq, d’autres que les femelles n’en avaient point du tout[1], pour moi, j’ai observé des individus qui en avaient sept à l’une des ailes et cinq à l’autre, quelques-uns qui n’en avaient que trois, et d’autres qui n’en avaient pas une seule, et qui avaient encore d’autres différences de plumage ; enfin j’ai remarqué que ces appendices se partagent quelquefois longitudinalement en deux branches à peu près égales, au lieu de former de petites palettes d’une seule pièce comme à l’ordinaire.

C’est avec grande raison que M. Linnæus a séparé cet oiseau des grives et des merles, ayant très bien remarqué qu’indépendamment des petits appendices rouges qui le distinguent, il était modelé sur des proportions différentes, qu’il avait le bec plus court, plus crochu, armé d’une double dent ou échancrure qui se trouve près de sa pointe, dans la pièce inférieure comme dans la supérieure, etc.[2] ; mais il est difficile de comprendre comment il a pu l’associer avec les pies-grièches, en avouant qu’il se nourrit de baies, et qu’il n’est point oiseau carnassier : à la vérité, il a plusieurs traits de conformité avec les pies-grièches et les écorcheurs, soit dans la distribution des couleurs, principalement de celles de la tête, soit dans la forme du bec, etc. ; mais la différence de l’instinct, qui est la plus réelle, n’en est que mieux prouvée, puisque avec tant de rapports extérieurs et de moyens semblables, le jaseur se nourrit et se conduit si différemment.

Ce n’est pas chose aisée de déterminer le climat propre de cet oiseau ; on se tromperait fort si, d’après les noms de geai de Bohême, de jaseur de Bohême, d’oiseau de Bohême, que Gessner, M. Brisson et plusieurs autres lui ont donné, on se persuadait que la Bohême fût son pays natal, ou même son principal domicile : il ne fait qu’y passer comme dans beaucoup d’autres contrées[3] ; en Autriche on croit que c’est un oiseau de Bohême et de Styrie, parce qu’on le voit en effet venir de ces côtés-là ; mais en Bohême on serait tout aussi fondé à le regarder comme un oiseau de la Saxe, et en Saxe comme un oiseau du Danemark ou des autres pays que baigne la mer Baltique. Les commerçants anglais assurèrent au docteur Lister, il y a près de cent ans, que les jaseurs étaient fort communs dans la Prusse ; Rzaczynski nous apprend qu’ils passent dans la grande et petite Pologne et dans la Lithuanie[4] : on a mandé de Dresde à M. de Réaumur qu’ils nichaient dans les environs de Pétersbourg ; M. Linnæus a avancé,

  1. Edwards.
  2. Le docteur Lister prétend avoir observé dans un de ces oiseaux, que les bords du bec supérieur n’étaient point échancrés près de la pointe, ce qui ne pourrait être regardé que comme une singularité individuelle très rare ; mais cette observation vraie ou fausse a corrigé le docteur Lister d’une erreur où il était tombé d’abord en associant, comme a fait M. Linnæus, le jaseur aux pies-grièches.
  3. Frisch assure, d’après les habitants du pays, que les jaseurs ne nichent pas dans la Bohême et qu’ils viennent de plus loin, pl. 32.
  4. Auctuarium, etc., p. 382.