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LES MÉSANGES. 611

bec qui n’est point en alêne, comme l’ont dit quelques méthodistes, mais en cône court, un peu aplati par les côtés ; en un mot, plus fort et plus court que celui des fauvettes, et souvent ombragé par les plumes du front qui se relèvent et reviennent en avant (a) ; ce sont leurs narines recouvertes par d’autres plumes plus petites et immobiles ; enfin, ce sont surtout leurs mœurs et leurs habitudes naturelles. Il n’est pas inutile de remarquer que les mésanges ont quelques traits de conformité avec les corbeaux, les pies et même les pies-grièches, dans la force relative de leur bec et de leurs petites serres, dans les moustaches qu’elles ont autour du bec, dans leur appétit pour la chair, dans leur manière de déchirer leurs aliments en morceaux pour les manger, et même, dit-on, dans leurs cris et dans leur manière de voler ; mais on ne doit point pour cela les rapporter au même genre, comme a fait M. Kramer (b). Il ne faut qu’un coup d’œil de comparaison sur ces oiseaux ; il ne faut que les voir grimper sur les arbres, examiner leur forme extérieure, leurs proportions, et réfléchir sur leur prodigieuse fécondité, pour se convaincre qu’une mésange n’est rien moins qu’un corbeau. D’ailleurs, quoique les mésanges se battent et s’entre-dévorent quelquefois, surtout certaines espèces qui ont l’une pour l’autre une antipathie marquée (c), elles vivent aussi quelquefois de bonne intelligence entre elles et même avec des oiseaux d’une autre espèce, et l’on peut dire qu’elles ne sont pas essentiel- lement cruelles, comme les pies-grièches, mais seulement par accès et dans certaines circonstances, qui ne sont pas toutes bien connues. J’en ai vu qui, bien loin d’abuser de leurs forces, le pouvant faire sans aucun risque, se sont montrées capables de la sensibilité et de l’intérêt que la faiblesse de- vrait toujours inspirer au plus fort. Ayant mis dans la cage où était une mésange bleue, deux petites mésanges noires, prises dans le nid, la bleue les adopta pour ses enfants, leur tint lieu d’une mère tendre, et partagea avec eux sa nourriture ordinaire, ayant grand soin de leur casser elle-même les graines trop dures qui s’y trouvaient mêlées. Je doute fort qu’une pie- grièche eût fait cette bonne action.

Ces oiseaux sont répandus dans tout l’ancien continent, depuis le Dane- mark et la Suède jusqu’au cap de Bonne-Espérance, où Kolbe en a vu, dit-il, six espèces, entre autres, savoir la charbonnière, la nonnette cen- drée, la bleue, celle à tête noire, celle à longue queue, et le roitelet qu’il a pris pour une mésange « tous oiseaux chantant joliment, selon ce voya- geur, et comme les serins de Canarie, se mêlant avec ces oiseaux et for-

(a) « Toutes mésanges, dit Belon, ont les plumes si avant sur le bec, et si longuettes, qu’elles en apparoissent huppées. »

(b) Elenchus Austriæ inferioris, p. 380.

(c) Telles sont la charbonnière et la nonnette cendrée. Voyez Journal de Physique, août 1776 : on y dit encore que si l’on met successivement plusieurs mésanges dans une même cage, la première domiciliée se jette sur les nouvelles venues, leur fait la loi, et, si elle peut en venir à bout, les tue et leur mange la cervelle.