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qu’ils voient la lumière d’une chandelle. Ils peuvent vivre en cage jusqu’à huit ou dix ans, lorsqu’ils sont bien gouvernés. On en trouve sur les montagnes de France et d’Italie[1], dans presque toutes les îles de l’Archipel, surtout dans celles de Zira et de Nia, où l’on dit qu’ils nichent parmi des tas de pierres[2], et dans l’île de Corse, où ils ne sont point regardés comme oiseaux de passage[3]. Cependant en Bourgogne il est inouï que ceux que nous voyons arriver au printemps et nicher sur les cheminées ou sur le comble des églises y passent l’hiver ; mais il est possible de concilier tout cela : le merle solitaire peut très bien ne point quitter l’île de Corse et néanmoins passer d’un canton à l’autre et changer de domicile suivant les saisons, à peu près comme il fait en France.

Les habitudes singulières de cet oiseau et la beauté de sa voix ont inspiré au peuple une sorte de vénération pour lui. Je connais des pays où il passe pour un oiseau de bon augure, où l’on souffrirait impatiemment qu’il fût troublé dans sa ponte, et où sa mort serait presque regardée comme un malheur public.

Le merle solitaire est un peu moins gros que le merle ordinaire, mais il a le bec plus fort et plus crochu par le bout[4], et les pieds plus courts à proportion. Son plumage est d’un brun plus ou moins foncé et moucheté de blanc partout, excepté sur le croupion et sur les pennes des ailes et de la queue ; outre cela, le cou, la gorge, la poitrine et les couvertures des ailes ont dans le mâle une teinte de bleu et des reflets pourpres qui manquent absolument dans le plumage de la femelle ; celle-ci est d’un brun plus uniforme et ses mouchetures sont jaunâtres. L’un et l’autre ont l’iris d’un jaune orangé, l’ouverture des narines assez grande, les bords du bec échancrés près de la pointe, comme dans presque tous les merles et toutes les grives ; l’intérieur de la bouche jaune, la langue divisée par le bout en trois filets, dont celui du milieu est le plus long ; douze pennes à la queue, dix-neuf à chaque aile, dont la première est très courte ; enfin la première phalange du doigt extérieur unie à celle du doigt du milieu. La longueur totale de ces oiseaux est de huit à neuf pouces, leur vol de douze à treize, leur queue de trois, leur pied de treize lignes et leur bec de quinze ; les ailes repliées s’étendent au delà du milieu de la queue.


  1. Belon dit « qu’ils font leur demeure quelque temps de l’année sous les tuiles creuses qu’on nomme imbricées, par les châteaux situés en haut lieu entre les montagnes d’Auvergne ».
  2. Voyez Acta Upsal., ann. 1744-1750.
  3. C’est ce que j’apprends par M. Artier, professeur d’histoire naturelle à Bastia, que j’ai déjà eu occasion de citer.
  4. Cela seul aurait dû le faire exclure du genre des merles dans toute distribution méthodique où l’on a établi pour l’un des caractères de ce genre : le bout de la mandibule supérieure presque droit.