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LA LAVANDIÈRE. 543

elles multiplient leurs jeux, elles se balancent en l’air, s’abattent dans les champs, se poursuivent, s’entr’appellent et se promènent en nombre sur les toits des moulins et des villages voisins des eaux, où elles semblent dialoguer entre elles par petits cris coupés et réitérés : on croirait, à les entendre, que toutes et chacune s’interrogent, se répandent tour à tour pendant un certain temps, et jusqu’à ce qu’une acclamation générale de toute l’assemblée donne le signal ou le consentement de se transporter ailleurs. C’est dans ce temps encore qu’elles font entendre ce petit ramage doux et léger à demi-voix, et qui n’est presque qu’un murmure (a), d’où apparem- ment Belon leur a appliqué le nom italien de susurada (à susurro). Ce doux accent leur est inspiré par l’agrément de la saison et par le plaisir de la société, auquel ces oiseaux semblent être très sensibles (*).

Sur la fin de l’automne, les lavandières s’attroupent en plus grandes bandes ; le soir on les voit s’abattre sur les saules et dans les oseraies, au bord des canaux et des rivières, d’où elles appellent celles qui passent, et font ensemble un chamaillis bruyant jusqu’à la nuit tombante. Dans les matinées claires d’octobre, on les entend passer en l’air, quelquefois fort haut, se réclamant et s’appelant sans cesse : elles partent alors (b), car elles nous quittent aux approches de l’hiver et cherchent d’autres climats. M. de Maillet dit qu’il en tombe en Égypte, vers cette saison, des quantités prodi- gieuses que le peuple fait sécher dans Je sable pour les conserver et les manger ensuite (c). M. Adanson rapporte qu’on les voit en hiver au Sénégal

(a) « Encore savent rossignoler du gosier mélodieusement, chose qu’on peut souvente fois ouïr sur le commencement de l’hiver. » Belon, Nat. des Oiseaux.

(b) « In septentrionali Angliæ parte hieme non apparet, atque rarior etiam in meridio- nali. « Willughby, p. 172. — « Motacillæ albæ autumno avolant. » Gessner, p. 593.

(c) « Depuis le Caire jusqu’à la mer, l’on voit tout le long du Nil, principalement aux environs des lieux habités, un grand nombre de bergeronnettes ou lavandières, de l’espèce qui est d’un gris bleuâtre, avec un demi-collier noir en forme de fer à cheval. L’on n’a pu me dire si ces oiseaux restaient toute l’année en Égypte. » (Note envoyée du Caire par M. Sonnini.)

(*) D’après Brehm, les petits des deux couvées de l’année se réunissent et vivent avec leurs parents en familles isolées. « En automne, tous les soirs, ces familles se rendent vers les étangs couverts de roseaux et y cherchent une place pour passer la nuit en compagnie des hirondelles et des étourneaux. » C’est seulement vers la fin de l’automne, au moment de l’émigration, que les familles se réunissent en bandes plus importantes qui s’éloignent en se dirigeant vers le sud-ouest. C’est vers l’entrée de la nuit que les bandes émigrantes prennent leur vol en poussant de grands cris.

Au printemps suivant, quand les bandes sont de retour, elles ne tardent pas à se diviser en couples qui s’établissent chacun dans un domaine spécial. « Les anciens couples se reforment, dit Brehm, mais ce n’est pas toujours sans luttes ; les mâles non accouplés cherchent à enle- ver la femelle d’nn mâle plus heureux. Les deux rivaux se précipitent l’un sur l’autre, en faisant entendre le cri de guerre avec lequel ils poursuivent les oiseaux de proie ; de temps en temps ils prennent pied, dans une attitude à la fois défensive et menaçante, comme deux coqs prêts au combat ; puis ils fondent l’un sur l’autre, et la bataille ne cesse que quand l’un des deux a pris la fuite. Quant au vainqueur, il fait l’empressé auprès de la femelle ; il ouvre ses ailes, hoche la queue avec vivacité jusqu’à ce qu’elle se rende à ses désirs. »