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et se rapprocher de l’homme. Ils sentent le besoin de la société dans le moment où la plupart des animaux qui ont coutume d’y vivre se passeraient de tout l’univers : on dirait qu’ils veulent avoir des témoins de leur bonheur, afin d’en jouir de toutes les manières possibles. À la vérité, ils savent se garantir des inconvénients de la foule, et se faire une solitude au milieu de la société, en s’élevant à une hauteur où les importunités ne peuvent atteindre que difficilement. Ils ont coutume de poser leur nid fait de brins d’herbe et de plumes, tout au haut d’une cheminée isolée ou sur le comble d’un vieux château, ou sur la cime d’un grand arbre, et presque toujours à portée d’un clocher ou d’une tour élevée ; c’est sur le coq de ce clocher, ou sur la girouette de cette tour que le mâle se tient des heures et des journées entières sans cesse occupé de sa compagne tandis qu’elle couve, et s’efforçant de charmer les ennuis de sa situation par un chant continuel : ce chant, tout pathétique qu’il est, ne suffit pas à l’expression du sentiment dont il est plein ; un oiseau solitaire sent plus, et plus profondément qu’un autre ; on voit quelquefois celui-ci s’élever en chantant, battre des ailes, étaler les plumes de sa queue, relever celles de sa tête et décrire en piaffant plusieurs cercles dont sa femelle chérie est le centre unique.

Si quelque bruit extraordinaire ou la présence de quelque objet nouveau donne de l’inquiétude à la couveuse, elle se réfugie dans son fort, c’est-à-dire sur le clocher ou sur la tour habitée par son mâle, et bientôt elle revient à sa couvée, qu’elle ne renonce jamais.

Dès que les petits sont éclos, le mâle cesse de chanter, mais il ne cesse pas d’aimer : au contraire, il ne se tait que pour donner à celle qu’il aime une nouvelle preuve de son amour et partager avec elle le soin de porter la becquée à leurs petits ; car, dans les animaux, l’ardeur de l’amour n’annonce pas seulement une plus grande fidélité au vœu de la nature pour la génération des êtres, mais encore un zèle plus vif et plus soutenu pour leur conservation.

Ces oiseaux pondent ordinairement cinq ou six œufs ; ils nourrissent leurs petits d’insectes et ils s’en nourrissent eux-mêmes, ainsi que de raisins et d’autres fruits[1]. On les voit arriver au mois d’avril dans les pays où ils ont coutume de passer l’été ; ils s’en vont à la fin d’août et reviennent constamment chaque année au même endroit où ils ont en premier lieu fixé leur domicile. Il est rare qu’on en voie deux paires établies dans le même canton[2].

Les jeunes, pris dans le nid, sont capables d’instruction : la souplesse de leur gosier se prête à tout, soit aux airs, soit aux paroles ; car ils apprennent aussi à parler, et ils se mettent à chanter au milieu de la nuit, sitôt

  1. Voyez Willughby, Belon,  etc.
  2. Il y en a tous les ans une paire sur le clocher de Sainte-Reine, petite ville de mon voisinage, située à mi-côte d’une montagne passablement élevée.