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LE TRAQUET. 523

hors du nid ; ils les rappellent, les rallient, criant sans cesse ouistratra ; enfin, ils leur donnent encore à manger pendant plusieurs jours. Du reste, le traquet est très solitaire, on le voit toujours seul, hors le temps où l’amour lui donne une compagne (a). Son naturel est sauvage et son instinct paraît obtus : autant il montre d’agilité dans son état de liberté, autant il est pesant en domesticité ; il n’acquiert rien par l’éducation (b) ; on ne l’élève même qu’avec peine et toujours sans fruit (c). Dans la campagne il se laisse approcher de très près, ne s’éloigne que d’un petit vol sans paraître remarquer le chasseur ; il semble donc ne pas avoir assez de sentiment pour nous aimer ni pour nous fuir. Ces oiseaux sont très gras dans la saison et comparables, pour la délicatesse de la chair, aux bec-figues ; cependant ils ne vivent que d’insectes, et leur bec ne paraît point fait pour toucher aux graines. Belon et Aldrovande ont écrit que le traquet n’est point un oiseau de passage, cela est peut-être vrai pour la Grèce et l’Italie, mais il est certain que dans les pro- vinces septentrionales de France il prévient les frimas et la chute des in- sectes, car il part dès le mois de septembre.

Quelques personnes rapportent à cette espèce l’oiseau nommé en Provence fourmeiron, qui se nourrit principalement de fourmis Le fourmeiron paraît solitaire et ne fréquente que les masures et les décombres : on le voit, quand il fait froid, se poser au-dessus des tuyaux des cheminées comme pour se réchauffer (e). A ce trait nous rapporterions plutôt le fourmeiron au rossignol de muraille qu’au traquet, qui se tient constamment éloigné des villes et des habitations (f).

(a) « Il ne vole guère en compagnie, ains se tient toujours seul, sinon au temps qu’il fait ses petits, qu’ils s’accouplent mâle et et femelle. » Belon, Nat. des Ois., p. 360. — « Haro gregatim volat, semper solitaria degens. » Aldrovande, t. II, p. 739 ; du reste, il n’en parle que d’après Belon.

(b) « Le traquet est réfléchi. Ayant ouvert la cage à un de ces oiseaux dans un jardin, au milieu des arbrisseaux et au grand soleil, il vola bientôt sur la porte ouverte, et de là re- garda plus d’une minute autour de lui avant de prendre sa volée ; sa défiance fut si grande, qu’elle suspendit en lui l’amour de la liberté. » (Note communiquée par M. Hébert.)

(c) « Les traquets sont sauvages, on les élève avec peine. Ceux que j’ai nourris avaient l’air pesant ; quelquefois ils avaient des mouvements brusques, mais ils ne sortaient de leur état d’assoupissement que pour un instant ; ils sautaient de temps en temps sur quelque chose d’élevé, et y faisaient entendre à plusieurs reprises, en agitant les ailes et la queue, leur cri de trac, trac. » (Note communiquée par M. de Querhoënt.)

(d) « Le fourmeiron se place à l’ouverture de la fourmilière, de façon qu’il la bouche en- tièrement avec son corps, et que les fourmis, pressées de sortir, s’embarrassent dans ses plumes ; alors il prend l’essor, et va déposer, en secouant ses plumes sur un terrain uni, toute la provision dont il est chargé ; alors la table est mise pour lui, et il mange à son aise tout le gibier de sa chasse. Il est lui-même bon à manger. » (Note de M. Guys, de Marseille.)

(e) Suivant MM. Guys et de Piolenc ; mais le dernier, en attribuant cette habitude au fourmeiron, la juge étrangère aux traquets ; et voici là-dessus ce qu’il nous marque : « Je n’ai pas ouï dire qu’ils aimassent à se chauffer ; je crois même m’être aperçu qu’ils s’éloi- gnent des fourneaux que l’on fait dans les champs pour brûler le gazon, ce qui indiquerait que la fumée leur déplaît. » Voyez l’article du rossignol de muraille.

(f) « On le voit communément en tous lieux, mais il ne Vient jamais par les haies des villages ni des villes. » Belon. Nat. des Oiseaux, p. 360.