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LE TRAQUET. 521

pendant lesquels il ne cesse encore de soulever les ailes pour s’envoler à tous moments : il s’élève en l’air par petits élans, et retombe en pirouettant sur lui-même. Ce mouvement continuel a été comparé à celui du traquet d’un moulin, et c’est là, suivant Belon, l’origine du nom de cet oiseau (a).

Quoique le vol du traquet soit bas et qu’il s’élève rarement jusqu’à la cime des arbres, il se pose toujours au sommet des buissons et sur les branches les plus élancées des haies et des arbrisseaux, ou sur la pointe des tiges du blé de Turquie dans les champs et sur les échalas les plus hauts dans les vignes ; c’est dans les terrains arides, les landes, les bruyères et les prés en montagne qu’il se plaît davantage, et où il fait entendre plus souvent son petit cri ouistratra d’un ton couvert et sourd (b). S’il se trouve une tige isolée ou un piquet au milieu du gazon dans ces prés, il ne manque pas de se poser dessus, ce qui donne une grande facilité pour le prendre ; un gluau placé sur un bâton suffit pour cette chasse bien connue des enfants.

D’après cette habitude de voler de buisson en buisson sur les épines et les ronces, Belon, qui a trouvé cet oiseau en Crète et dans la Grèce comme dans nos provinces (c), lui applique le nom batis, oiseau de ronces, dont Aristote ne parle qu’une seule fois (d), en disant qu’il vit de vermisseaux. Gaza a traduit batis par rubetra, que tous les naturalistes ont rapporté au tra- quet (e) d’autant que rubetra pourrait aussi signifier oiseau rougeâtre (f),

rufescentibus... » Rubetra. Brisson. Ornithol., t. III. p. 428. — En grec, Βατίς ; en italien, barada, et aux environs de Bologne, piglia-mosche ; en Angleterre, stone-smich, stone-chatter et moor-titling, suivant Ray et Willughby ; mortetter, blackberry-eater, black-cap, suivant Charleton ; tracas, en Bourgogne ; tourtrac, à Semur ; martelot aux environs de Langres ; ce dernier nom paraît dériver de son cri ouistra-ouistratra, dont la répétition successive et assez subite représente les coups d’un petit marteau ; groullard, suivant Belon, « pour ce, dit-il, qu’il groulle sans cesse, et grouller est à dire se remuer. » Il ajoute que les habi- tants des environs de Metz se nomment semetro : nous ne retrouvons plus dans le pays de trace de cette dénomination.

(a) « Il y a un petit oysillon différent en son genre de tous autres ; on le voit se tenir sur les haultes summités des buissons, et remuer toujours les aelles, et pour ce qu’il est ainsi inconstant on l’a nommé un traquet... et comme un traquet de moulin n’a jamais repos pen- dant que la meule tourne, tout ainsi cet oiseau inconstant remue toujours ses aelles. » Belon, Nat. des Oiseaux, p. 360.

(b) « In ericetis victitat et valde querula est. » Willughby, Ornithol., p. 170.

(c) On le voit tout aussi bien en Crète et en Grèce, comme en France et en Italie. Belon, Nat. des Oiseaux, p. 360.

(d) Hist. animal., lib. viii, cap. iii.

(e) « Il me semble, le voyant si fréquent en tous lieux, que c’est celui qu’Aristote, au troi- sième chapitre du huitième livre des Animaux, nomme en sa langue batis, signifiant qu’on pourrait bien dire roncette ; car batis en grec est ce qu’on dit en latin rubus, et en français une ronce. Gaza, tournant ce mot, a dit en latin rubetra. Notre conjecture est que le traquet, hantant toujours sur les ronces, vit de verms, ne mangeant aucun fruit. » Belon, loco citato.

(f) Dans cette idée, ce nom paraît plus approprié au traquet ; car Aldrovande observe l’équivoque du mot rubetra dans le sens d’oiseau de ronces appliqué à cet oiseau, y en ayant plusieurs autres qui se posent comme lui sur les ronces ; et ce nom d’oiseau de ronces ayant effectivement été donné par Longolius à la miliaire, qui est l’ortolan, et par d’autres à la petite grive.