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LE ROUGE-GORGE. 515

que celui du printemps et qu’il soutient pendant tous les frimas, comme pour saluer chaque jour la bienfaisance de ses hôtes et la douceur de sa retraite (a). Il y reste avec tranquillité jusqu’à ce que le printemps de retour lui annonçant de nouveaux besoins et de nouveaux plaisirs, l’agite et lui fait demander sa liberté (*).

Dans cet état de domesticité passagère, le rouge-gorge se nourrit à peu près de tout ; on lui voit amasser les mies de pain, les fibres de viande et les grains de millet. Ainsi c’est trop généralement qu’Olina dit qu’il faut, soit qu’on le prenne au nid ou déjà grand dans les bois, le nourrir de la même pâtée que le rossignol (b) ; il s’accommode, comme on voit, d’une nourriture beaucoup moins apprêtée ; ceux qu’on laisse voler libres dans les cham- bres n’y causent que peu de saleté, ne rendant qu’une petite fiente assez sèche. L’auteur de l’Ædonologie prétend (c) que le rouge-gorge apprend à

proches du printemps de nouveaux besoins se faisaient sentir, ils allaient frapper à la fe- nêtre avec leur bec, on leur donnait la liberté, et ils s’en allaient jusqu’à l’hiver prochain. » (Note de M. Hébert.)

(a) J’ai vu chez un de mes amis un rouge-gorge à qui on avait ainsi donné asile au fort de l’hiver, venir se poser sur l’écritoire tandis qu’il écrivait ; il chantait des heures entières, d’un petit ramage doux et mélodieux.

(b) « Vive da quattro e cinque annui (apparemment dans l’état de domesticité), e tal’ volta più, secundo la diligensa con che è tenuto. Volendolo allevare di nido si richiede che habbi ben spuntate le penne, governandolo o sia nidiace, o boscareccio, coll’ istessa regola dal russignuolo. » Olina, p. 16.

(c) Page 93.

(*) Le Rouge-gorge est très querelleur, mais néanmoins il parait être doué d’une affecti- vité plus développée que celle des autres oiseaux. Les faits suivants cités par Brehm en four- nissent une excellente preuve : « Deux rouges-gorges, renfermés dans la même cage, étaient continuellement en lutte et en querelle ; ils se disputaient chaque miette de nourriture, on peut même dire qu’ils se disputaient l’air qu’ils respiraient ; ils se précipitaient l’un sur l’autre avec fureur, se donnaient des coups de bec. Un jour, l’un d’eux se cassa la patte. Les luttes furent finies. Son compagnon oublia à l’instant toutes ses colères, il s’approcha du blessé, lui donna à manger, le soigna avec tendresse. La patte guérit, le malade recouvra la santé, mais la paix ne fut plus jamais troublée entre lui et son bienfaiteur.

« Snell rapporte un fait non moins intéressant. Un rouge-gorge mâle avait été pris avec ses petits et porté dans une chambre ; il se consacra à les soigner ; il les nourrit, les réchauffa, finit par les élever heureusement. Huit jours plus tard, environ, l’oiseleur mit dans la même pièce un autre nid, avec de jeunes rouges-gorges ; lorsque la faim fit crier ceux-ci, le vieux mâle s’empressa d’arriver, les considéra longtemps, puis courut à sa mangeoire, y prit des larves de fourmis, les leur apporta, les éleva, en un mot, avec autant de tendresse que ses propres petits.

» Naumann cite une histoire analogue : Il voulait élever une jeune linotte qui toujours af- famée, ne cessait de crier. Elle excita la pitié d’un Rouge-gorge enfermé dans la même pièce ; celui-ci s’étant approché d’elle, elle lui demanda à manger, et le Rouge-gorge de voler aussitôt à la mangeoire, d’y chercher des miettes de pain, de les lui mettre dans le bec. Il répétait ce manège chaque fois que la Linotte s’adressait à lui.

» Même en liberté, le Rouge-gorge se lie parfois d’amitié avec d’autres oiseaux. « Dans une forêt, aux environs de Bothen, raconte Baessler, un Rouge-gorge pondit dans le même nid qu’un Pouillot. Ce dernier était le constructeur du nid. L’un et l’autre oiseau avaient pondu chacun six œufs, et tous deux les avaient couvés simultanément, en parfaite harmonie. »