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514 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

pris son nom (a). Il leur en perce quelques plumes dès la fin d’août, et à la fin de septembre ils portent tous la même livrée et on ne les distingue plus. C’est alors qu’ils commencent à se mettre en mouvement pour leur départ, mais il se fait sans attroupement ; ils passent seul à seul, les uns après les autres, et dans ce moment où tous les autres oiseaux se rassemblent et s’accompagnent, le rouge-gorge conserve son naturel solitaire. On voit ces oiseaux passer les uns après les autres ; ils volent pendant le jour de buis- son en buisson, mais apparemment ils s’élèvent plus haut pendant la nuit et font plus de chemin ; du moins arrive-t-il aux oiseleurs, dans une forêt qui le soir était pleine de rouges-gorges et promettait la meilleure chasse pour le lendemain, de les trouver tous partis avant l’arrivée de l’aurore (b).

Le départ n’étant point indiqué, et pour ainsi dire proclamé parmi les rouges-gorges comme parmi les autres oiseaux alors attroupés, il en reste plusieurs en arrière, soit des jeunes, que l’expérience n’a pas encore ins- truits du besoin de changer de climat, soit de ceux à qui suffisent les petites ressources qu’ils ont su trouver au milieu de nos hivers. C’est alors qu’on les voit s’approcher des habitations et chercher les expositions les plus chaudes (c) ; s’il en est quelqu’un qui soit resté au bois dans cette rude saison, il y devient compagnon du bûcheron, il s’approche pour se chauffer à son feu, il becquète dans son pain et voltige toute la journée à l’entour de lui en faisant entendre son petit cri ; mais lorsque le froid augmente, et qu’une neige épaisse couvre la terre, il vient jusque dans nos maisons, frappe du bec aux vitres, comme pour demander un asile qu’on lui donne volontiers (d) et qu’il paye par la plus aimable familiarité, venant amasser les miettes de la table (e), paraissant reconnaître et affectionner les personnes de la maison, et prenant un ramage moins éclatant, mais encore plus délicat

(a) « C’est mal fait de la nommer gorge-rouge, car ce que nous lui pensons rouge en la poitrine est orangée couleur, qui lui prend depuis les deux côtés du dessous de son bec, qui est gresle, délié et noir, et par le dessous des deux cantons des yeux, lui répond par le dessous de la gorge jusqu’à l’estomac. » Belon, Nature des oiseaux, p. 348.

(b) « Il me souvient qu’une certaine année je faisais la tendue aux rouges-gorges, c’était en avril, le passage était des meilleurs. Content de mes prises, je continuai la chasse pen- dant trois jours avec le même succès ; le quatrième, le soleil s’étant levé plus beau que jamais et le jour étant très doux, je comptais sur la meilleure chasse ; mais l’on avait sonné le dé- part pendant mon absence, tout était disparu, et je n’en pris aucun. » (Note de M. Lottinger.)

(c) « Per esser quest’uccello gentilissimo, e nemico degl’ eccessi, si di caldo’, che di freddo, pero l’estate si ritira alla macchia, o al monte, dové si a verdura e fresco ; e l’in- verno s’accosta all’abialo, facendosi vedere sù le fratte, et per gl’orti, massime dove batte il sole, che va diligentemente cercando. » Olina, Uccelleria, p. 16.

(d) « Hyberno tempore ad victum quærendum etiam domos subintrat, hominibus chara et socia. » Willughby, Ornithol., p. 160.

(e) « Dans une chartreuse du Bugey, j’ai vu des ronges-gorges dans des cellules de reli- gieux, où on les avait fait entrer après qu’ils avaient erré quelques jours dans les cloîtres. Il ne fallait que deux ou trois jours pour les y naturaliser, au point de venir manger sur la table. Ils s’accommodaient fort bien de l’ordinaire du chartreux, et passaient ainsi tout l’hiver à l’abri du froid et de la faim, sans montrer la moindre envie de sortir ; mais aux ap-