Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/543

Cette page n’a pas encore été corrigée

LE ROUGE-GORGE. 513

qu’ils font en taillant les branches l’attire et il vient derrière eux se prendre à la sauterelle ou au gluau presque aussitôt qu’on l’a posé ; il répond égale- ment à l’appeau de la chouette et au son d’une feuille de lierre percée (a) ; il suffit même d’imiter, en suçant le doigt, son petit cri uip, uip, ou de faire crier quelque oiseau pour mettre en mouvement tous les rouges-gorges des environs : ils viennent en faisant entendre de loin leur cri tirit, tiritit, tirititit, d’un timbre sonore qui n’est point leur chant modulé, mais celui qu’ils font le matin et le soir, et dans toute occasion où ils sont émus par quelque objet nouveau ; ils voltigent avec agitation dans toute la pipée jusqu’à ce qu’ils soient arrêtés par les gluaux sur quelques-unes des avenues ou perchées, qu’on a taillées basses exprès pour les mettre à portée de leur vol ordinaire, qui ne s’élève guère au-dessus de quatre ou cinq pieds de terre ; mais s’il en est un qui s’échappe du gluau il fait entendre un troi- sième petit cri d’alarme tî-î, tî-î, auquel tous ceux qui s’approchaient fuient ; on les prend aussi à la rive du bois sur des perches garnies de lacets ou de gluaux, mais les rejets ou sauterelles fournissent une chasse plus sûre et plus abondante ; il n’est pas même besoin d’armorcer ces petits pièges, il suffit de les tendre au bord des clairières ou dans le milieu des sentiers, et le malheureux petit oiseau, poussé par sa curiosité, va s’y jeter de lui-même.

Partout où il y a des bois d’une grande étendue, l’on trouve des rouges- gorges en grandes quantité, et c’est surtout en Bourgogne et en Lorraine que se font les plus grandes chasses de ces petits oiseaux excellents à man- ger ; on en prend beaucoup aux environs des petites villes de Bourmont, Mirecourt et Neufchâteau ; on les envoie de Nancy à Paris. Cette province, fort garnie de bois et abondante en sources d’eaux vives, nourrit une très- grande variété d’oiseaux ; de plus, sa situation entre l’Ardenne d’un côté et les forets du Suntgau qui joignent le Jura de l’autre, la met précisément dans la grande route de leurs migrations, et c’est par cette raison qu’ils y sont si nombreux dans les temps de leurs passages ; les rouges-gorges en particulier viennent en grand nombre des Ardennes, où Belon en vit prendre une grande quantité dans la saison (b). Au reste, l’espèce en est répandue dans toute l’Europe, de l’Espagne et de l’Italie, jusqu’en Pologne et en Suède ; partout ces petits oiseaux cherchent les montagnes et les bois pour faire leurs nids et y passer l’été.

Les jeunes, avant la première mue, n’ont pas ce beau roux orangé sur la gorge et la poitrine, d’où par une extension un peu forcée le rouge-gorge a

(a) Ce que les piqueurs appellent froûer.

(b) Les paysans des villages situés en quelques endroits sur les confins de la forêt d’Ar- denne nous ont apporté tant l’un que l’autre (le rossignol de muraille et le gorge-rouge) à douzaines, en liasses séparées, qu’ils prenaient en été aux lacets, aux mares lorsqu’ils ve- naient y boire. » Belon, Nat. des Oiseaux, p. 348.