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512 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

les forêts pour y retrouver, sous le feuillage qui vient de naître, sa solitude et ses amours. Il place son nid près de terre sur les racines des jeunes arbres, ou sur des herbes assez fortes pour le soutenir ; il le construit de mousse entremêlée de crin et de feuilles de chêne, avec un lit de plume au dedans ; souvent, dit Wilughby, après l’avoir construit il le comble de feuilles accu- mulées, ne laissant sous cet amas qu’une entrée étroite oblique, qu’il bouche encore d’une feuille en sortant ; on trouve ordinairement dans le nid du rouge-gorge cinq et jusqu’à sept œufs de couleur brune : pendant tout le temps des nichées, le mâle fait retentir les bois d’un chant léger et tendre ; c’est un ramage suave et délié, animé par quelques modulations plus éclatantes, et coupé par des accents gracieux et touchants qui sem- blent être les expressions des désirs de l’amour ; la douce société de sa femelle non seulement les remplit en entier, mais semble même lui rendre importune toute autre compagnie ; il poursuit avec vivacité tous les oiseaux de son espèce et les éloigne du petit canton qu’il s’est choisi ; jamais le même buisson ne logea deux paires de ces oiseaux aussi fidèles qu’amou- reux (a).

Le rouge-gorge cherche l’ombrage épais et les endroits humides ; il se nourrit dans le printemps de vermisseaux et d’insectes qu’il chasse avec adresse et légèreté ; on le voit voltiger comme un papillon autour d’une feuille sur laquelle il aperçoit une mouche ; à terre il s’élance par petits sauts et fond sur sa proie en battant des ailes. Dans l’automne il mange aussi des fruits de ronces, des raisins à son passage dans les vignes, et des alises dans les bois, ce qui le fait donner aux pièges tendus pour les grives qu’on amorce de ces petits fruits sauvages ; il va souvent aux fontaines, soit pour s’y baigner, soit pour boire, et plus souvent dans l’automne, parce qu’il est alors plus gras qu’en aucune autre saison, et qu’il a plus besoin de rafraîchissement.

Il n’est pas d’oiseau plus matinal que celui-ci. Le rouge-gorge est le pre- mier éveillé dans les bois, et se fait entendre dès l’aube du jour ; il est aussi le dernier qu’on y entende et qu’on y voie voltiger le soir ; souvent il se prend dans les tendues, qu’à peine reste-t-il encore assez de jour pour le ramasser ; il est peu défiant, facile à émouvoir, et son inquiétude ou sa curiosité fait qu’il donne aisément dans tous les pièges (b) ; c’est toujours le premier oiseau qu’on prend à la pipée ; la voix seule des pipeurs ou le bruit

(a) « Unum arbustum non alit duos erithacos. »

(b) « De tous les oiseaux qui vivent dans l’état de liberté, le rouge-gorge est peut-être celui qui est le moins sauvage : il se laisse souvent approcher de si près, que l’on croirait pouvoir le prendre avec la main ; mais, dès qu’on en est à portée, il va se poser plus loin, où il se laisse encore approcher pour s’éloigner ensuite de même. Il semble aussi se plaire quelquefois à faire compagnie aux voyageurs qui passent dans les forêts, on le voit souvent les précéder ou les suivre pendant un assez long temps. » (Note communiquée par le sieur Trécourt.)