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puisse dominer ce qui l’environne. Il semble qu’il n’est sauvage que par défiance, et qu’il connaît tous les dangers du voisinage de l’homme : ce voisinage a cependant moins de dangers pour lui que pour bien d’autres oiseaux ; il ne risque guère que sa liberté, car comme il chante bien naturellement, et qu’il est susceptible d’apprendre à chanter encore mieux, on le recherche bien moins pour le manger, quoiqu’il soit un fort bon morceau, que pour jouir de son chant, qui est doux, varié et fort approchant de celui de la fauvette : d’ailleurs, il a bientôt fait de s’approprier le ramage des autres oiseaux, et même celui de notre musique. Il commence tous les jours à se faire entendre un peu avant l’aurore qu’il annonce par quelques sons éclatants, et il fait de même au coucher du soleil. Lorsqu’on s’approche de sa cage au milieu de la nuit avec une lumière, il se met aussitôt à chanter, et, pendant la journée, lorsqu’il ne chante point, il semble s’exercer à demi-voix et préparer de nouveaux airs.

Par une suite de leur caractère défiant, ces oiseaux cachent leurs nids avec grand soin, et l’établissent dans des trous de rocher, près du plafond des cavernes les plus inaccessibles ; ce n’est qu’avec beaucoup de risque et de peine qu’on peut grimper jusqu’à leur couvée, et ils la défendent avec courage contre les ravisseurs en tâchant de leur crever les yeux.

Chaque ponte est de trois ou quatre œufs ; lorsque les petits sont éclos, ils les nourrissent de vers et d’insectes, c’est-à-dire des aliments dont ils vivent eux-mêmes ; cependant ils peuvent s’accommoder d’une autre nourriture, et lorsqu’on les élève en cage on leur donne avec succès la même pâtée qu’aux rossignols ; mais, pour pouvoir les élever, il faut les prendre dans le nid, car dès qu’ils ont fait usage de leurs ailes et qu’ils ont pris possession de l’air, ils ne se laissent attraper à aucune sorte de pièges, et quand on viendrait à bout de les surprendre, ce serait toujours à pure perte : ils ne survivraient pas à leur liberté[1].

Les merles de roche se trouvent en quelques endroits de l’Allemagne, dans les Alpes, les montagnes du Tyrol, du Bugey, etc. On m’a apporté une femelle de cette espèce, prise le 12 mai sur ses œufs ; elle avait établi son nid sur un rocher dans les environs de Montbard, où ces oiseaux sont fort rares et tout à fait inconnus ; ses couleurs avaient moins d’éclat que celles du mâle. Celui-ci est un peu moins gros que le merle ordinaire et proportionné tout différemment : ses ailes sont très longues et telles qu’il convient à un oiseau qui niche au plafond des cavernes ; elles forment, étant déployées, une envergure de treize à quatorze pouces, et elles s’étendent, étant repliées, presque jusqu’au bout de la queue, qui n’a pas trois pouces de long ; le bec a environ un pouce.

À l’égard du plumage, la tête et le cou sont comme recouverts d’un

  1. Voyez Frisch, pl. 32.