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494 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

du regret : la nature inspire à tous les êtres qu’elle anime un instinct, des facultés, des habitudes relatives aux divers climats, et varices comme eux : ces objets sont partout dignes d’être observés, et presque partout manquent d’observateurs. Il en est peu d’aussi intelligents, d’aussi laborieux que celui (a) auquel nous devons, dans un détail intéressant, l’histoire d’une autre petite fauvette de Saint-Domingue, nommée cou-jaune dans cette île.

LE COU-JAUNE

Les habitants de Saint-Domingue ont donné le nom de cou-jaune (b) à un petit oiseau (*) qui joint une jolie robe à une taille dégagée et à un ramage agréable ; il se tient sur les arbres qui sont en fleurs : c’est de là qu’il fait résonner son chant ; sa voix est déliée et faible, mais elle est variée et déli- cate ; chaque phrase est composée de cadences brillantes et soutenues (c). Ce que ce petit oiseau a de charmant, c’est qu’il fait entendre son joli ra- mage, non seulement pendant le printemps, qui est la saison des amours, mais aussi dans presque tous les mois de l’année. On serait tenté de croire que ses désirs amoureux seraient de toutes les saisons ; et l’on ne serait pas étonné qu’il chantât avec tant de constance un pareil don de la nature. Dès que le temps se met au beau, surtout après ces pluies rapides et de courte durée qu’on nomme aux îles grains, et qui y sont fréquentes, le mâle dé- ploie son gosier et en fait briller les sons pendant des heures entières ; la femelle chante aussi, mais sa voix n’est pas aussi modulée, ni les accents aussi cadencés ni d’aussi longue tenue que ceux du mâle.

La nature, qui peignit des plus riches couleurs la plupart des oiseaux du Nouveau-Monde, leur refusa presque à tous l’agrément du chant, et ne leur donna, sur ces terres désertes, que des cris sauvages. Le cou-jaune est du petit nombre de ceux dont le naturel vif et gai s’exprime par un chant gracieux, et dont en même temps le plumage est paré d’assez belles cou- leurs ; elles sont bien nuancées et relevées par le beau jaune qui s’étend sur la gorge, le cou et la poitrine ; le gris noir domine sur la tête ; cette couleur

(a) M. le chevalier Lefèvre-Deshaies.

(b) Ils l’appellent aussi chardonnet ou chardonneret, mais par une fausse analogie, le cou- jaune ayant le bec aigu de la fauvette ou du rouge-gorge, le port, le naturel et les habitudes de ce dernier oiseau, et rien qui rappelle au chardonneret qu’un ramage, qui encore est bien différent.

(c) « Le chant de l’oiseau d’herbe à blé ou oiseau de cannes ressemble, pour l’exiguïté des sons et pour le genre de modulations, au ramage du cou jaune. » Note de M. Lefèvre- Deshaies, observateur ingénieux et sensible, à qui nous devons les détails de cet article, et plusieurs autres faits intéressants de l’histoire naturelle des oiseaux de Saint-Domingue.

(*) Motacilla pensilis Gmel.