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LE ROSSIGNOL. 463

raie que tout oiseau ne chante que peu ou point du tout lorsqu’il souffre du froid, de la faim, etc., et l’on sait d’ailleurs que le climat de l’Amérique, et surtout du Canada, n’est rien moins que favorable au chant des oiseaux ; c’est ce qu’aura éprouvé notre rossignol transplanté au Canada ; car il est plus que probable qu’il s’y trouve aujourd’hui, l’indication trop peu circon- stanciée du P. Charlevoix ayant été confirmée depuis par le témoignage positif d’un médecin résidant à Québec, et de quelques voyageurs (a).

Comme les rossignols, du moins les mâles, passent toutes les nuits du printemps à chanter, les anciens s’étaient persuadé qu’ils ne dormaient point dans cette saison (b), et de cette conséquence peu juste est née cette erreur que leur chair était une nourriture antisoporeuse, qu’il suffisait d’en mettre le cœur et les yeux sous l’oreiller d’une personne pour lui donner une insomnie ; enfin ces erreurs gagnant du terrain, et passant dans les arts, le rossignol est devenu l’emblème de la vigilance. Mais les modernes, qui ont observé de plus près ces oiseaux, se sont aperçus que dans la saison du chant ils dormaient pendant le jour, et que ce sommeil du jour, surtout en hiver, annonçait qu’ils étaient prêts à reprendre leur ramage. Non seu- lement ils dorment, mais ils rêvent (c), et d’un rêve de rossignol, car on les entend gazouiller à demi-voix et chanter tout bas. Au reste, on a débité beaucoup d’autres fables sur cet oiseau, comme on fait sur tout ce qui a de la célébrité ; on a dit qu’une vipère, ou, selon d’autres un crapaud, le fixant lorsqu’il chante, le fascine par le seul ascendant de son regard au point qu’il perd insensiblement la voix et finit par tomber dans la gueule béante du reptile. On a dit que les père et mère ne soignaient parmi leurs petits que ceux qui montraient du talent, et qu’ils tuaient les autres ou les laissaient périr d’inanition (il faut supposer qu’ils savent excepter les femelles). On a dit qu’ils chantaient beaucoup mieux lorsqu’on les écoutait que lorsqu’ils chantaient pour leur plaisir. Toutes ces erreurs dérivent d’une source com- mune, de l’habitude où sont les hommes de prêter aux animaux leurs fai- blesses, leurs passions et leurs vices.

Les rossignols qu’on tient en cage ont coutume de se baigner après qu’ils ont chanté : M Hébert a remarqué que c’était la première chose qu’ils fai- saient le soir, au moment où l’on allumait la chandelle ; il a aussi observé un autre effet de la lumière sur ces oiseaux dont il est bon d’avertir : un mâle qui chantait très bien, s’étant échappé de sa cage, s’élança dans le feu où il périt avant qu’on pût lui donner aucun secours.

Ces oiseaux ont une espèce de balancement du corps qu’ils élèvent et

(a) Ce médecin a mandé à M. de Salerne, que notre rossignol se trouve au Canada comme ici dans la saison. Il se trouve aussi à la Gaspesie, selon le Père Leclerc, et n’y chante pas si bien.

(b) Hésiode, Élien. Voyez ce dernier, lib. xii.

(c) Voyez le Traité du Rossignol.