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460 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

les plus basses des arbustes, tels que les groseilliers, épines blanches, pru- niers sauvages, charmilles, etc., ou sur une touffe d’herbe, et même à terre, au pied de ces arbustes ; c’est ce qui lait que leurs œufs ou leurs petits, et quelquefois la mère, sont la proie des chiens de chasse, des renards, des fouines, des belettes, des couleuvres, etc.

Dans notre climat, la femelle pond ordinairement cinq œufs (a) d’un brun verdâtre uniforme, excepté que le brun domine au gros bout, et le verdâtre au petit bout ; la femelle couve seule, elle ne quitte son poste que pour cher- cher à manger, et elle ne le quitte que sur le soir, et lorsqu’elle est pressée par la faim : pendant son absence le mâle semble avoir l’œil sur le nid. Au bout de dix-huit ou vingt jours d’incubation, les petits commencent à éclore ; le nombre des mâles est communément plus que double de celui des fe- melles : aussi, lorsqu’au mois d’avril on prend un mâle apparié, il est bientôt remplacé auprès de la veuve par un autre, et celui-ci par un troisième ; en sorte qu’après l’enlèvement successif de trois ou quatre mâles, la couvée n’en va pas moins bien. La mère dégorge la nourriture à ses petits, comme font les femelles des serins ; elle est aidée par le père dans cette intéressante fonction : c’est alors que celui-ci cesse de chanter, pour s’occuper sérieu- sement du soin de la famille ; on dit même que durant l’incubation ils chan- tent rarement près du nid, de peur de le faire découvrir ; mais lorsqu’on approche de ce nid, la tendresse paternelle se trahit par des cris que lui arrache le danger de la couvée, et qui ne font que l’augmenter. En moins de quinze jours les petits sont couverts de plumes, et c’est alors qu’il faut sevrer ceux qu’on veut élever ; lorsqu’ils volent seuls, les père et mère recommencent une autre ponte, et, après cette seconde, une troisième ; mais pour que cette dernière réussisse, il faut que les froids ne surviennent pas de bonne heure : dans les pays chauds, ils font jusqu’à quatre pontes, et partout les dernières sont les moins nombreuses.

L’homme, qui ne croit posséder que lorsqu’il peut user et abuser de ce qu’il possède, a trouvé le moyen de faire nicher les rossignols dans la prison ; le plus grand obstacle était l’amour de la liberté, qui est très vif dans ces oiseaux ; mais on a su contre-balancer ce sentiment naturel par des senti- ments aussi naturels et plus forts, le besoin d’aimer et de se reproduire, l’amour de la géniture, etc. On prend un mâle et une femelle appariés, et on les lâche dans une grande volière, ou plutôt dans un coin de jardin planté d’ifs, de charmilles et autres arbrisseaux, et dont on aura fait une volière en l’environnant de filets : c’est la manière la plus douce et la plus sûre d’obtenir de leur race ; on peut encore y réussir, mais plus difficilement, en plaçant ce mâle et cette femelle dans un cabinet peu éclairé, chacun dans une cage séparée, leur donnant tous les jours à manger aux mêmes heures, laissant

(a) Aristote dit cinq ou six : cela peut être vrai de la Grèce, qui est un pays plus chaud, et où il peut y avoir plus de fécondité.