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LE ROSSIGNOL. 459

résulte de l’observation attentive d’un homme de goût, qui joint la justesse de l’oreille aux lumières de l’esprit (a) : à la vérité, il a remarqué quelques sons aigus qui allaient à la double octave, et passaient comme des éclairs ; mais cela n’arrive que très rarement (b) et lorsque l’oiseau, par un effort de gosier, fait octavier sa voix comme un flûteur fait octavier sa flûte en forçant le vent.

Cet oiseau est capable à la longue de s’attacher à la personne qui a soin de lui ; lorsqu’une fois la connaissance est faite, il distingue son pas avant de la voir, il la salue d’avance par un cri de joie, et, s’il est en mue, on le voit se fatiguer en efforts inutiles pour chanter, et suppléer par la gaieté de ses mouvements, par l’âme qu’il met dans ses regards, à l’expression que son gosier lui refuse : lorsqu’il perd sa bienfaitrice, il meurt quelquefois de regret ; s’il survit, il lui faut longtemps pour s’accoutumer à une autre (c) ; il s’attache fortement parce qu’il s’attache difficilement, comme font tous les caractères timides et sauvages ; il est aussi très solitaire. Les rossignols voyagent seuls, arrivent seuls aux mois d’avril et de mai, s’en retournent seuls au mois de septembre (d), et lorsqu’au printemps le mâle et la femelle s’apparient pour nicher, cette union particulière semble fortifier encore leur aversion pour la société générale, car ils ne souffrent alors aucun de leurs pareils dans le terrain qu’ils se sont approprié ; on croit que c’est afin d’avoir une chasse assez étendue pour subsister eux et leur famille ; et ce qui le prouve, c’est que la distance des nids est beaucoup moindre dans un pays où la nourriture abonde : cela prouve aussi que la jalousie n’entre pour rien dans leurs motifs, comme quelques-uns l’ont dit, car on sait que la jalousie ne trouve jamais les distances assez grandes, et que l’abondance des vivres ne diminue ni ses ombrages ni ses précautions.

Chaque couple commence à faire son nid vers la fin d’avril et au com- mencement de mai ; ils le construisent de feuilles, de joncs, de brins d’herbe grossière en dehors, de petites fibres, de racines, de crin, et d’une espèce de bourre en dedans ; ils le placent à une bonne exposition, un peu tournée au levant, et dans le voisinage des eaux ; ils le posent ou sur les branches

(a) M. le docteur Remond, qui a traduit plusieurs morceaux de la Collection académique

(b) Le même M. Remond a reconnu dans le chant du rossignol des batteries à la tierce, à la quarte et à l’octave, mais toujours de l’aigu au grave ; des cadences toujours mineures, sur presque tous les tons, mais point d’arpèges ni de dessein suivi. M. Barrington a donné une balance des oiseaux chanteurs, où il a exprimé en nombres ronds les degrés de perfection du chant propre à chaque espèce.

(c) « Un rossignol, dont j’avais fait présent, dit M. le Moine, ne voyant plus sa gouver- nante, cessa de manger, et bientôt il fut aux abois, il ne pouvait plus se tenir sur le bâton de sa cage ; mais, ayant été remis à sa gouvernante, il se ranima, mangea, but, se percha et fut rétabli en vingt-quatre heures. » On en a vu, dit-on, qui, ayant été lâchés dans les bois, sont revenus chez leur maître.

(d) En Italie, il arrive en mars et avril, se retire au commencement de novembre ; en Angleterre, il arrive en avril et mai, et repart dès le mois d’août : ces époques dépendent, comme on le juge bien, de la température locale et.de celle de la saison.