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458 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

quelle langue on voudra. Les fils de l’empereur Claude en avaient qui par- laient grec et latin (a) ; mais ce qu’ajoute Pline est plus merveilleux, c’est que tous les jours ces oiseaux préparaient de nouvelles phrases, et même des phrases assez longues, dont ils régalaient leurs maîtres (b). L’adroite flatterie a pu faire croire cela à de jeunes princes ; mais un philosophe tel que Pline ne devait se permettre ni de le croire, ni de chercher à le faire croire, parce que rien n’est plus contagieux que l’erreur appuyée d’un grand nom ; aussi plusieurs écrivains, se prévalant de l’autorité de Pline, ont renchéri sur le merveilleux de son récit. Gessner, entre autres, rapporte la lettre d’un homme digne de foi (comme on va le voir) où il est question de deux rossignols appartenant à un maître d’hôtellerie de Ratisbonne, lesquels passaient les nuits à converser en allemand sur les intérêts politiques de l’Europe, sur ce qui s’était passé, sur ce qui devait arriver bientôt, et qui arriva en effet : à la vérité, pour rendre la chose plus croyable, l’auteur de la lettre avoue que ces rossignols ne faisaient que répéter ce qu’ils avaient entendu dire à quelques militaires, ou à quelques députés de la diète qui fréquentaient la même hôtellerie (c) ; mais avec cet adoucissement même, c’est encore une histoire absurde et qui ne mérite pas d’être réfutée sérieu- sement.

J’ai dit que les vieux prisonniers avaient deux saisons pour chanter : le mois de mai et celui de décembre ; mais ici l’art peut encore faire une se- conde violence à la nature, et changer à son gré l’ordre de ces saisons, en tenant les oiseaux dans une chambre rendue obscure par degrés, tant que l’on veut qu’ils gardent le silence, et leur redonnant le jour, aussi par de- grés, quelque temps avant celui où l’on veut les entendre chanter ; le retour ménagé de la lumière, joint à toutes les autres précautions indiquées ci- dessus, aura sur eux les effets du printemps. Ainsi l’art est parvenu à leur faire chanter et dire ce qu’on veut et quand on veut ; et si l’on a un assez grand nombre de ces vieux captifs et qu’on ait la petite industrie de retarder et d’avancer le temps de la mue, on pourra, en les tirant successivement de la chambre obscure, jouir de leur chant toute l’année sans aucune inter- ruption. Parmi les jeunes qu’on élève, il s’en trouve qui chantent la nuit ; mais la plupart commencent à se faire entendre le matin sur les huit à neuf heures dans le temps des courts jours, et toujours plus matin à mesure que les jours croissent.

On ne se douterait pas qu’un chant aussi varié que celui du rossignol est renfermé dans les bornes étroites d’une seule octave ; c’est cependant ce qui

(a) Philostrate en cite un exemple. « Docentur secreto et ubi nulla alia vox... assidente qui crebro dicat... ac cibis blandiente. » Pline, lib. x, cap. xlii.

(b) « Præterea meditantes in diem et assiduè nova loquentes longiore etiam contextu. » Pline, Hist. nat. lib. x, cap. xlii. — Ces jeunes princes étaient Drusus et Britannicus.

(c) Gessner, Aves, p. 594.