Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/483

Cette page n’a pas encore été corrigée

LE ROSSIGNOL. 457

sifflait si naturellement, qu’on ne pouvait distinguer à la conformation de ses lèvres si c’était lui ou son voisin qu’on entendait ; l’autre sifflait avec plus d’effort ; il était même obligé de prendre une attitude contrainte ; mais, quant à l’effet, son imitation n’était pas moins parfaite ; enfin on voyait, il y a fort peu d’années, à Londres, un homme qui, par son chant, savait attirer les rossignols au point qu’ils venaient se percher sur lui et se laissaient prendre à la main (a).

Comme il n’est pas donné à tout le monde de s’approprier le chant du rossignol par une imitation fidèle, et que tout le monde est curieux d’en jouir, plusieurs ont tâché de se l’approprier d’une manière plus simple, je veux dire en se rendant maître du rossignol lui-même, et le réduisant à l’état de domesticité ; mais c’est un domestique d’une humeur difficile, et dont on ne tire le service désiré qu’en ménageant son caractère. L’amour et la gaieté ne se commandent pas, encore moins les chants qu’ils inspirent : si l’on veut faire chanter le rossignol captif, il faut le bien traiter dans sa prison, il faut en peindre les murs de la couleur de ses bosquets, l’environ- ner, l’ombrager de feuillages, étendre de la mousse sous ses pieds, le garan- tir du froid et des visites importunes (b), lui donner une nourriture abon- dante et qui lui plaise ; en un mot, il faut lui faire illusion sur sa captivité, et tâcher de la rendre aussi douce que la liberté, s’il était possible. A ces conditions, le rossignol chantera dans la cage : si c’est un vieux pris dans le commencement du printemps, il chantera au bout de huit jours, et même plus tôt (c), il recommencera à chanter tous les ans au mois de mai et sur la fin de décembre ; si ce sont des jeunes de la première ponte, élevés à la brochette, ils commenceront à gazouiller dès qu’ils commenceront à manger seuls ; leur voix se haussera, se formera par degrés : elle sera dans toute sa force sur la fin de décembre, et ils l’exerceront tous les jours de l’année, excepté au temps de la mue ; ils chanteront beaucoup mieux que les rossi- gnols sauvages ; ils embelliront leur chant naturel de tous les passages qui leur plairont dans le chant des autres oiseaux qu’on leur fera entendre (d), et de tous ceux que leur inspirera l’envie de les surpasser ; ils apprendront à chanter des airs, si on a la patience et le mauvais goût de les siffler avec la rossignolette ; ils apprendront même à chanter alternativement avec un chœur, et à répéter leur couplet à propos ; enfin, ils apprendront à parler

(a) Annual Register, 1764. Aldrovande, 783. « Homines reperti qui sonum earum additâ in transversas arundines aquâ, foramen inspirantes... indiscretâ redderent similitudine. » Pline, lib. x, cap. xxix.

(b) On recommande même de le nettoyer rarement lorsqu’il chante.

(c) Ceux qu’on prend après le 15 de mai chantent rarement le reste de la saison ; ceux qui ne chantent pas au bout de quinze jours ne chantent jamais bien, et souvent sont des femelles.

(d) « Avicularum nonnullæ haud vocem paternam emittunt, cùm educatione paternâ ca- ruerint, et cantibus (aliis) insueverint. » Pline, lib. iv, cap. ix. — « Visum sæpe jussas cecinisse et cum symphoniâ alternasse. » Lib. x, cap. xxix.