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456 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

oiseau, un oiseau absolument différent, du moins quant à la voix, et même un peu quant aux couleurs du plumage.

Dans l’espèce du rossignol, comme dans toutes les autres, il se trouve quelquefois des femelles qui participent à la constitution du mâle, à ses ha- bitudes, et spécialement à celle de chanter. J’ai vu une de ces femelles chan- tantes qui était privée ; son ramage ressemblait à celui du mâle ; cependant il n’était ni aussi fort ni aussi varié ; elle le conserva jusqu’au printemps ; mais alors, subordonnant l’exercice de ce talent qui lui était étranger aux véritables fonctions de son sexe, elle se tut pour faire son nid et sa ponte, quoiqu’elle n’eût point de mâle. Il semble que dans les pays chauds, tels que la Grèce, il est assez ordinaire de voir de ces femelles chantantes, et dans cette espèce et dans beaucoup d’autres, du moins c’est ce qui résulte d’un passage d’Aristote (a).

Un musicien, dit M. Frisch, devrait étudier le chant du rossignol et le no- ter ; c’est ce qu’essaya jadis le jésuite Kircher (b), et ce qu’a tenté nouvelle- ment M. Barrington ; mais, de l’aveu de ce dernier, ç’a été sans aucun suc- cès ; ces airs notés, étant exécutés par le plus habile joueur de flûte, ne ressemblaient point du tout au chant du rossignol. M. Barrington soup- çonne que la difficulté vient de ce qu’on ne peut apprécier au juste la durée relative, ou, si l’on veut, la valeur de chaque note ; cependant, quoiqu’il ne soit point aisé de déterminer la mesure que suit le rossignol lorsqu’il chante, de saisir ce rythme si varié dans ses mouvements, si nuancé dans ses transitions, si libre dans sa marche, si indépendant de toutes nos règles de convention, et par cela même si convenable au chantre de la nature, ce rythme, en un mot, fait pour être finement senti par un organe délicat, et non pour être marqué à grand bruit par un bâton d’orchestre ; il me paraît encore plus difficile d’imiter avec un instrument mort les sons du rossignol, ses accents si pleins d’âme et de vie, ses tours de gosier, son expression, ses soupirs ; il faut pour cela un instrument vivant, et d’une perfection rare, je veux dire une voix sonore, harmonieuse et légère, un timbre pur, moelleux, éclatant, un gosier de la plus grande flexibilité, et tout cela guidé par une oreille juste, soutenu par un tact sûr, et vivifié par une sensibilité exquise : voilà les instruments avec lesquels on peut rendre le chant du rossignol. J’ai vu deux personnes qui n’en auraient pas noté un seul passage, et qui cependant l’imitaient dans toute son étendue, et de manière à faire illusion ; c’était deux hommes : ils sifflaient plutôt qu’ils ne chantaient ; mais l’un

sed simplicem... et quidem in terrâ Italâ alio Domine tùm appellatur. » Aristote, Hist. ani- mal., lib. ix, cap. xlix.

(a) « Canunt nonnulli mares perinde ut suæ fœminæ, sicut in lusciniarum genere patet ;

fœmina tamen cessat canere dum incubat. » Aristote, Hist. animal., lib. iv, cap. ix. — Les enthousiastes des beaux sons croient que ceux du rossignol contribuent plus que la cha- leur à vivifier le fœtus dans l’œuf.

(b) Voyez sa Musurgie.