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LE ROSSIGNOL. 453

est égale à la volubilité ; murmure intérieur et sourd qui n’est point appré- ciable à l’oreille, mais très propre à augmenter l’éclat des tons appréciables ; roulades précipitées, brillantes et rapides, articulées avec force et même avec une dureté de bon goût ; accents plaintifs cadencés avec mollesse ; sons filés sans art, mais enflés avec âme ; sons enchanteurs et pénétrants ; vrais soupirs d’amour et de volupté qui semblent sortir du cœur et font palpiter tous les cœurs, qui causent à tout ce qui est sensible une émotion si douce, une langueur si touchante : c’est dans ces tons passionnés que l’on recon- naît le langage du sentiment qu’un époux heureux adresse à une compagne chérie, et qu’elle seule peut lui inspirer ; tandis que dans d’autres phrases plus étonnantes peut-être, mais moins expressives, on reconnaît le simple projet de l’amuser et de lui plaire, ou bien de disputer devant elle le prix du chant à des rivaux jaloux de sa gloire et de son bonheur.

Ces différentes phrases sont entremêlées de silences (a), de ces silences qui dans tout genre de mélodies concourent si puissamment aux grands effets ; on jouit des beaux sons que l’on vient d’entendre et qui retentissent encore dans l’oreille ; on en jouit mieux parce que la jouissance est plus intime, plus recueillie, et n’est point troublée par des sensations nouvelles ; bientôt on attend, on désire une autre reprise : on espère que ce sera celle qui plaît ; si l’on est trompé, la beauté du morceau que l’on entend ne per- met pas de regretter celui qui n’est que différé, et l’on conserve l’intérêt de l’espérance pour les reprises qui suivront. Au reste, une des raisons pourquoi le chant du rossignol est plus remarqué et produit plus d’effet, c’est, comme dit très bien M. Barrington, parce que chantant la nuit, qui est le temps le plus favorable, et chantant seul, sa voix a tout son éclat, et n’est offusquée par aucune autre voix ; il efface tous les autres oiseaux, suivant le même M. Barrington, par ses sons moelleux et flûtés, et par la durée non inter- rompue de son ramage, qu’il soutient quelquefois pendant vingt secondes ; le même observateur a compté dans ce ramage seize reprises différentes, bien déterminées par leurs premières et dernières notes, et dont l’oiseau sait varier avec goût les notes intermédiaires ; enfin, il s’est assuré que la sphère que remplit la voix du rossignol n’a pas moins d’un mille de diamètre, surtout lorsque l’air est calme, ce qui égale au moins la portée de la voix humaine.

Il est étonnant qu’un si petit oiseau, qui ne pèse pas une demi-once, ait tant de force dans les organes de la voix : aussi M. Hunter a-t-il observé que les muscles du larynx, ou si l’on veut du gosier, étaient plus forts à propor-

(a) M. Barrington nous apprend que les oiseleurs anglais et les gens de la campagne qui ont de fréquentes occasions d’entendre le rossignol, désignent les principales de ses phrases par des noms particuliers, sweet ; jug sweet ; sweet jug ; pipe rattle ; bell pipe ; swat, swat, swaty ; water-bubble ; scroty ; skeg ; skeg, skeg ; whitlow, whitlow, whitlow. Mais il faut remarquer que, dans l’application que l’on a faite de ces noms différents aux différentes phrases du chant des oiseaux, on a fait plus d’attention au son de chaque mot qu’à sa signi- fication.