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De la mousse, qui ne manque jamais sur le tronc des arbres, du limon, qu’ils trouvent au pied ou dans les environs, sont des matériaux dont ils font le corps du nid ; des brins d’herbe et de petites racines sont la matière d’un tissu plus mollet dont ils le revêtent intérieurement, et ils travaillent avec une telle assiduité qu’il ne leur faut que huit jours pour finir l’ouvrage. Le nid achevé, la femelle se met à pondre, et ensuite à couver ses œufs ; elle les couve seule, et le mâle ne prend part à cette opération qu’en pourvoyant à la subsistance de la couveuse[1]. L’auteur du Traité du rossignol assure avoir vu un jeune merle de l’année, mais déjà fort, se charger volontiers de nourrir des petits de son espèce nouvellement dénichés ; mais cet auteur ne dit point de quel sexe était ce jeune merle.

J’ai observé que les petits éprouvaient plus d’une mue dans la première année, et qu’à chaque mue le plumage des mâles devient plus noir, et le bec plus jaune, à commencer par la base. À l’égard des femelles, elles conservent, comme je l’ai dit, les couleurs du premier âge, comme elles en conservent aussi la plupart des attributs : elles ont cependant le dedans de la bouche et du gosier du même jaune que les mâles, et l’on peut aussi remarquer dans les uns et les autres un mouvement assez fréquent de la queue de haut en bas, qu’ils accompagnent d’un léger trémoussement d’ailes et d’un petit cri bref et coupé.

Ces oiseaux ne changent point de contrée pendant l’hiver[2], mais ils choisissent dans la contrée qu’ils habitent l’asile qui leur convient le mieux

  1. M. Salerne entre sur tout cela dans des détails qui lui ont été fournis par un curieux observateur, mais dont quelques-uns lui sont suspects à lui-même, et qui pour la plupart me paraissent sans vraisemblance. Suivant ce curieux observateur, un mâle et sa femelle, ayant été renfermés au temps de la ponte dans une grande volière, commencèrent par poser de la mousse pour base du nid, ensuite ils répandirent sur cette mousse de la poussière dont ils avaient rempli leur gosier, et piétinant dans l’eau pour se mouiller les pieds, ils détrempèrent cette poussière et continuèrent ainsi couche par couche… Les petits éclos, ils les nourrissaient de vers de terre coupés par morceaux, et se nourrissaient eux-mêmes en partie de la fiente que rendaient leurs petits après avoir reçu la becquée… Enfin de quatre couvées qu’ils firent de suite dans cette volière, ils mangèrent les deux dernières, ce qui explique, dit-on, pourquoi les merles, qui sont si féconds, sont néanmoins si peu multipliés en comparaison des grives et des alouettes. Voyez l’Hist. nat. des Oiseaux de M. Salerne, p. 176. Mais, avant de tirer des conséquences de pareils faits, il faut attendre que de nouvelles observations les aient confirmés, et fussent-ils confirmés en effet, il faudrait encore distinguer soigneusement les faits généraux, qui appartiennent à l’histoire de l’espèce, des actions particulières et propres à quelques individus.
  2. Bien des gens prétendent qu’ils quittent la Corse vers le 15 février, et qu’ils n’y reviennent que sur la fin d’octobre ; mais M. Artier, professeur royal de philosophie à Bastia, doute du fait, et il se fonde sur ce qu’en toute saison ils peuvent trouver dans cette île la température qui leur convient : pendant les froids, qui sont toujours très modérés, dans les plaines, et pendant les chaleurs, sur les montagnes. M. Artier ajoute qu’ils y trouvent aussi une abondante nourriture en tout temps, des fruits sauvages de toute espèce, des raisins, et surtout des olives qui, dans l’île de Corse, ne sont cueillies totalement que sur la fin d’avril. M. Lottinger croit que les mâles passent l’hiver en Lorraine, mais que les femelles s’en éloignent un peu dans les temps les plus rudes.