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L’ALOUETTE. 419

nents, et jusqu’au cap de Bonne-Espérance ; selon Kolbe (a), il pourrait même subsister dans les terres incultes qui abonderaient en bruyères et en genévriers, car il se plaît beaucoup sous ces arbrisseaux (b), qui le mettent à l’abri, lui et sa couvée, contre les atteintes de l’oiseau de proie. Avec cette facilité de s’accoutumer à tous les terrains et à tous les climats, il paraîtra singulier qu’il ne s’en trouve point à la Côte d’or, comme l’assure Villault (c), ni même dans l’Andalousie, s’il en faut croire Averroès (d).

Tout le monde connaît les différents pièges dont on se sert ordinairement pour prendre les alouettes, tels que collets, traîneaux, lacets, pantière ; mais il en est un qu’on y emploie plus communément, et qui en a tiré sa dénomi- nation de fil d’alouette. Pour réussir à cette chasse il faut une matinée fraîche, un beau soleil, un miroir tournant sur son pivot, et une ou deux alouettes vivantes qui rappellent les autres, car on ne sait pas encore imiter leur chant d’assez près pour les tromper : c’est par celte raison que les oise- leurs disent qu’elles ne suivent point l’appeau ; mais elles paraissent attirées plus sensiblement par le jeu du miroir : non sans doute qu’elles cherchent à se mirer, comme on les en a accusées d’après l’instinct qui leur est com- mun avec presque tous les autres oiseaux de volière, de chanter devant une glace avec un redoublement de vivacité et d’émulation ; mais parce que les éclairs de lumière que jette de toutes parts ce miroir en mouvement excitent leur curiosité, ou parce qu’elles croient cette lumière renvoyée par la surface mobile des eaux vives, qu’elles recherchent dans cette saison : aussi en prend-on tous les ans des quantités considérables pendant l’hiver aux envi- rons des fontaines chaudes où j’ai dit qu’elles se rassemblaient ; mais aucune chasse n’en détruit autant à la fois que la chasse aux gluaux, qui se pratique dans la Lorraine française et ailleurs (e), et dont je donnerai ici le détail, parce qu’elle est peu connue. On commence par préparer quinze cents ou deux mille gluaux : ces gluaux sont des branches de saule bien droites ou du moins bien dressées, longues d’environ trois pieds dix pouces, aiguisées et même un peu brûlées par l’un des bouts : on les enduit de glu par l’autre de la longueur d’un pied : on les plante par rangs parallèles dans un terrain convenable, qui est ordinairement une plaine en jachère, et où l’on s’est assuré qu’il y a suffisamment d’alouettes pour indemniser des frais qui ne laissent pas d’être considérables ; l’intervalle des rangs doit être tel que l’on puisse passer entre deux sans toucher aux gluaux : l’intervalle des glaux de chaque rang doit être d’un pied, et chaque gluau doit répondre aux inter- valles des gluaux des rangs joignants.

(a) Histoire générale des voyages, t. IV, p. 243.

(b) Turner et Longolius apud Gesnerum de Avibus, p. 81.

(c) Voyez son Voyage de Guinée, p. 270.

(d) Averroes apud Aldrov., t. II, Ornithologia, p. 832.

(e) M. de Sonnini fait depuis longtemps exécuter cette chasse dans sa terre de Manoncour, en Lorraine ; feu le roi Stanislas y prenait plaisir et l’a souvent honorée de sa présence.