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416 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

de la couvée, la suivant de l’œil avec une sollicitude vraiment maternelle, dirigeant tous ses mouvements, pourvoyant à tous ses besoins, veillant à tous ses dangers.

L’instinct qui porte les alouettes femelles à élever et soigner ainsi une couvée se déclare quelquefois de très bonne heure, et même avant celui qui les dispose à devenir mères, et qui dans l’ordre de la nature devrait, ce semble, précéder. On m’avait apporté, dans le mois de mai, une jeune alouette qui ne mangeait pas encore seule ; je la fis élever, et elle était à peine sevrée lorsqu’on m’apporta d’un autre endroit une couvée de trois ou quatre petits de la même espèce : elle se prit d’une affection singulière pour ces nouveaux venus, qui n’étaient pas beaucoup plus jeunes qu’elle ; elle les soignait nuit et jour, les réchauffait sous ses ailes, leur enfonçait la nourriture dans la gorge avec le bec ; rien n’était capable de la détourner de ces intéressantes fonctions ; si on l’arrachait de dessus ces petits, elle revo- lait à eux dès qu’elle était libre, sans jamais songer à prendre sa volée, comme elle l’aurait pu cent fois : son affection ne faisant que croître, elle en oublia à la lettre le boire et le manger, elle ne vivait plus que de la becquée qu’on lui donnait en même temps qu’à ses petits adoptifs, et elle mourut enfin consumée par cette espèce de passion maternelle : aucun de ces petits ne lui survécut ; ils moururent tous les uns après les autres, tant ses soins leur étaient devenus nécessaires, tant ces mêmes soins étaient non seule- ment affectionnés, mais bien entendus.

La nourriture la plus ordinaire des jeunes alouettes sont les vers, les chenilles, les œufs des fourmis et même de sauterelles, ce qui leur a attiré, et à juste titre, beaucoup de considération dans les pays qui sont exposés aux ravages de ces insectes destructeurs (a) : lorsqu’elles sont adultes, elles vivent principalement de graines, d’herbe, en un mot de matières végétales.

Il faut, dit-on, prendre en octobre ou novembre celles que l’on veut con- server pour le chant, préférant les mâles, autant qu’il est possible (b), et leur liant les ailes lorsqu’elles sont trop farouches, de peur qu’en s’élançant trop vivement elles ne se cassent la tête contre le plafond de leur cage. On les apprivoise assez facilement, elles deviennent même familières jusqu’à venir manger sur la table et se poser sur la main ; mais elles ne peuvent se tenir sur le doigt à cause de la conformation de l’ongle postérieur trop long et trop droit pour pouvoir l’embrasser ; c’est sans doute par la même raison qu’elles ne se perchent pas sur les arbres. D’après cela on juge bien qu’il ne faut point de bâtons en travers dans la cage où on les tient.

En Flandre, on nourrit les jeunes avec de la graine de pavot mouillée, et, lorsqu’elles mangent seules, avec de la mie de pain aussi humectée ; mais

(a) Plutarque, de Iside.

(b) Voyez Albin, Hist. nat. des oiseaux, à l’endroit cité.