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402 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

moins étendue, et toutes ses couleurs sont plus faibles ou plus ternes que celles du mâle. Une femelle, mesurée à Saint-Domingue par M. le chevalier Deshayes, avait un pouce de plus en longueur que le mâle, et les autres dimensions plus fortes à proportion : d’où il paraîtrait que les individus plus petits, qu’on dit remarquer généralement dans cette espèce, sont les mâles (a).

A Cayenne, ce tyran s’appelle titiri, d’après son cri qu’il prononce d’une voix aiguë et criarde. On voit ordinairement le mâle et la femelle ensemble dans les abatis des forêts ; ils se perchent sur les arbres élevés et sont en grand nombre à la Guiane : ils nichent dans des creux d’arbres ou sur la bifurcation de quelque branche, sous le rameau le plus feuillu ; lorsqu’on cherche à enlever leurs petits, ils les défendent, ils combattent, et leur audace naturelle devient une fureur intrépide ; ils se précipitent sur le ravis- seur, ils le poursuivent, et lorsque malgré tous leurs efforts ils n’ont pu sauver leurs chers petits, ils viennent les chercher et les nourrir dans la cage où ils sont enfermés.

Cet oiseau, quoique assez petit, ne parait redouter aucune espèce d’animal. « Au lieu de fuir comme les autres oiseaux, dit M. Deshayes, ou de se cacher à l’aspect des malfinis, des émouchets et des autres tyrans de l’air, il les attaque avec intrépidité, les provoque, les harcèle avec tant d’ardeur et d’obstination qu’il parvient à les écarter : on ne voit aucun animal appro- cher impunément de l’arbre où il a posé son nid. Il poursuit à grands coups de bec, et avec un acharnement incroyable, jusqu’à une certaine distance tous ceux qu’il regarde comme ennemis, les chiens surtout et les oiseaux de proie (b). » L’homme même ne lui en impose pas, comme si ce maître des animaux était encore peu connu d’eux dans ces régions où il n’y a pas longtemps qu’il règne (c). Le bec de cet oiseau, en se refermant avec force dans ces instants de colère, fait entendre un craquement prompt et réitéré.

A Saint-Domingue on lui a donné le nom de pipiri, qui exprime aussi bien que titiri le cri ou le piaulement qui lui est le plus familier ; on en distingue deux variétés ou deux espèces très voisines ; la première est celle du grand

(a) « Tous les pipiris ne sont pas exactement de la même grandeur ni du même plumage : « outre la différence qu’on remarque dans tous les genres entre le mâle et la femelle, il y en a encore pour la corpulence entre les individus de cette espèce. On aperçoit souvent cette différence, et elle frappe les yeux les moins observateurs. Vraisemblablement l’abondance ou la disette d’une nourriture convenable cause cette diversité. « Note communiquée par M. le chevalier Deshayes. — Le tyran de Saint-Domingue de M. Brisson, p. 394, n’est qu’une de ces variétés ou la femelle de son tyran, p. 391.

(b) Les chiens s’enfuient à toutes jambes en poussant des cris ; le malfini oublie sa force et fuit devant le pipiri dès qu’il paraît. Mémoire de M. le chevalier Deshayes.

(c) « J’en tirai un jeune qui n’était que légèrement blessé ; mon petit nègre, qui courait après, fut assailli par une pie-grièche de la même espèce, qui probablement était la mère : cet animal se jetait, avec le plus grand acharnement, sur la tête de cet enfant, qui eut mille peines à s’en débarrasser. » Note communiquée par M. de Manoncour.