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savants celui de polyglotte, qui signifie à peu près la même chose[NdÉ 1]. Non seulement le moqueur chante bien et avec goût, mais il chante avec action, avec âme, ou plutôt son chant n’est que l’expression de ses affections intérieures ; il s’anime à sa propre voix, et l’accompagne par des mouvements cadencés, toujours assortis à l’inépuisable variété de ses phrases naturelles et acquises. Son prélude ordinaire est de s’élever d’abord peu à peu, les ailes étendues, de retomber ensuite la tête en bas au même point d’où il était parti ; et ce n’est qu’après avoir continué quelque temps ce bizarre exercice que commence l’accord de ses mouvements divers, ou, si l’on veut, de sa danse, avec les différents caractères de son chant : exécute-t-il avec sa voix des roulements vifs et légers, son vol décrit en même temps dans l’air une multitude de cercles qui se croisent ; on le voit suivre, en serpentant, les tours et retours d’une ligne tortueuse sur laquelle il monte, descend, et remonte sans cesse. Son gosier forme-t-il une cadence brillante et bien battue, il l’accompagne d’un battement d’ailes également vif et précipité. Se livre-t-il à la volupté des arpèges et des batteries, il les exécute une seconde fois par les bonds multipliés d’un vol inégal et sautillant. Donne-t-il essor à sa voix dans ces tenues si expressives où les sons, d’abord pleins et éclatants, se dégradent ensuite par nuances, et semblent enfin s’éteindre tout à fait et se perdre dans un silence qui a son charme comme la plus belle mélodie, on le voit en même temps planer moelleusement au-dessus de son arbre, ralentir encore par degrés les ondulations imperceptibles de ses ailes, et rester enfin immobile, et comme suspendu au milieu des airs.

Il s’en faut bien que le plumage de ce rossignol d’Amérique réponde à la beauté de son chant ; les couleurs en sont très communes, et n’ont ni éclat ni variété ; le dessus du corps est gris brun plus ou moins foncé ; le dessus des ailes et de la queue est encore plus brun : seulement ce brun est égayé, 1o sur les ailes, par une marque blanche qui les traverse obliquement vers le milieu de leur longueur, et quelquefois par de petites mouchetures blanches qui se trouvent à la partie antérieure ; 2o sur la queue, par une bordure de même couleur blanche ; enfin, sur la tête, par un cercle encore de même couleur, qui lui forme une espèce de couronne[1], et qui, se prolongeant sur les yeux, lui dessine comme deux sourcils assez marqués[2]. Le dessous du corps est blanc depuis la gorge jusqu’au bout de la queue : on aperçoit dans le sujet représenté par M. Edwards quelques grivelures,

  1. Voyez Fernandez, loco citato.
  2. Tel est l’individu représenté par M. Edwards, planche 78.
  1. D’après les observations d’Audubon et de Wilson, il n’est pas un oiseau dont le chant ne soit imité à la perception par le Moqueur. Il imite également les cris des animaux domestiques et le bruit des instruments ; il lance le coup de sifflet qui sert à appeler les chiens ; il appelle le chat à la manière des chattes amoureuses ; il répète le grincement de la scie, le tic-tac du moulin, etc.