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L’AGAMI. 361

nourrissent comme les poules, les marails, les paraguas ; cependant les agamis très jeunes préfèrent les petits vers et la viande à toute autre nour- riture.

» Presque tous ces oiseaux prennent à tic de suivre quelqu’un dans les rues ou hors de la ville, des personnes mêmes qu’ils n’auront jamais vues : vous avez beau vous cacher, entrer dans les maisons, ils vous at- tendent, reviennent toujours à vous, quelquefois pendant plus de trois heures. Je me suis mis à courir quelquefois, ajoute M. de la Borde, ils couraient plus que moi et me gagnaient toujours le devant ; quand je m’arrêtais, ils s’arrêtaient aussi fort près de moi. J’en connais un qui ne manque pas de suivre tous les étrangers qui entrent dans la maison de son maître, et de les suivre dans le jardin, où il fait dans les allées autant de tours de promenade qu’eux, jusqu’à ce qu’ils se retirent (a). »

Comme les habitudes naturelles de cet oiseau étaient très peu connues, j’ai cru devoir rapporter mot à mot les différentes notices que l’on m’en a don- nées. Il en résulte que, de tous les oiseaux, l’agami est celui qui a le plus d’instinct et le moins d’éloignement pour la société de l’homme. Il paraît à cet égard être aussi supérieur aux autres oiseaux que le chien l’est aux autres animaux. Il a même l’avantage d’être le seul qui ait cet instinct social, cette connaissance, cet attachement bien décidé pour son maître ; au lieu que, dans les animaux quadrupèdes, le chien, quoique le premier, n’est pas le seul qui soit susceptible de ces sentiments relatifs ; et puisque l’on connaît ces qualités dans l’agami, ne devrait-on pas tâcher de multiplier l’espèce ? dès que ces oiseaux aiment la domesticité, pourquoi ne les pas élever, s’en s’en servir et chercher à perfectionner encore leur instinct et leurs facultés ? Rien ne démontre mieux la distance immense qui se trouve entre l’homme sauvage et l’homme policé que les conquêtes de celui-ci sur les animaux : il s’est aidé du chien, s’est servi du cheval, de l’âne, du bœuf, du chameau, de l’éléphant, du renne, etc. ; il a réuni autour de lui les poules, les oies, les dindons, les canards, et logé les pigeons. Le sauvage a tout négligé ou plutôt n’a rien entrepris, même pour son utilité ni pour ses besoins, tant il est vrai que le sentiment du bien-être, et même l’instinct de la conservation de soi- même, tient plus à la société qu’à la nature, plus aux idées morales qu’aux sensations physiques !

(a) Note communiquée par M. de la Borde, médecin du roi à Cayenne, en 1776.