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LES MOQUEURS


Un oiseau remarquable par quelque endroit a toujours beaucoup de noms, et lorsque cet oiseau est étranger, cette multitude embarrassante de noms, qui est un abus en soi, donne lieu à un autre abus plus fâcheux encore, celui de la multiplication des espèces purement nominales, et par conséquent imaginaires, dont l’extinction n’importe pas moins à l’histoire naturelle que la découverte de nouvelles espèces véritables : c’est ce qui est arrivé à l’égard des moqueurs d’Amérique. En effet, il est aisé de reconnaître, en comparant le moqueur de M. Brisson[1] et le merle cendré de Saint-Domingue, que ces deux oiseaux appartiennent à la même espèce, et qu’ils ne diffèrent entre eux que par la couleur du dessous du corps, qui est un peu moins grise dans le merle cendré de Saint-Domingue que dans le moqueur : on reconnaîtra pareillement, et par la même voie de comparaison, que le merle de Saint-Domingue de M. Brisson[2] est encore le même oiseau, ne différant du moqueur que par quelques teintes plus ou moins foncées dans les couleurs du plumage, et parce que les pennes de sa queue ne sont point ou presque point étagées. On se convaincra de la même manière que le tzonpan de Fernandez[3] est ou la femelle du cencontlatolli, c’est-à-dire du moqueur, comme le soupçonne Fernandez lui-même, ou tout au plus une variété constante dans cette même espèce. Il est vrai que son plumage est moins uniforme, étant mêlé par-dessus de blanc, de noir et de brun, et par-dessous de blanc, de noir et de cendré ; mais le fond en est absolument le même, ainsi que la taille, la forme totale, le ramage et le climat. On en doit dire autant du tetzonpan et du centzonpantli de Fernandez[4] ; car la courte notice qu’en donne cet auteur ne présente que traits de ressemblance pour la grosseur, les couleurs, le chant, et pas un seul trait de disparité ; si l’on joint à cela la conformité des noms, tzonpan, tetzonpan, centzonpantli, on sera fondé à croire que tous ces noms ne désignent qu’une seule espèce réelle qui aura produit plusieurs espèces nomi-

  1. Ornithologie, t. II, p. 262.
  2. Ibid., t. II, p. 284.
  3. Historia Avium Novæ-Hispaniæ, cap. xxx. — Nieremberg l’appelle tzanpan, Hist. nat., lib. x, cap. lxxvii ; et M. Edwards, tzaupan, p. 78.
  4. Historia Avium Novæ-Hispaniæ, cap. cxv.