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LE BOUVREUIL. 301

un certain point ; mais aussi à juger par la facilité avec laquelle ils se laissent approcher et se prennent dans les différents pièges (a), on ne peut s’empê- cher d’avouer que leur attention est souvent en défaut. Comme ils ont la peau très fine, ceux qui se prennent aux gluaux perdent en se débattant une partie de leurs plumes et même de leurs pennes, à moins que l’on n’aille les débarrasser promptement. Il faut encore remarquer que les individus dont le plumage sera le plus beau, seront ceux qui auront le moins de disposition pour apprendre à siffler ou à chanter, parce que ce seront les plus vieux, et par conséquent les moins dociles : au reste, quoique vieux, ils s’accoutument facilement à la cage, pourvu que dans les premiers jours de leur captivité on leur donne à manger largement : ils se privent aussi très bien, comme je l’ai dit plus haut, mais il y faut du temps, de la patience et des soins raisonnés, c’est pourquoi l’on n’y réussit pas toujours. Il est rare que l’on n’en prenne qu’un seul à la fois ; le second se fait bientôt prendre pour peu qu’il entende son camarade ; ils redoutent moins l’esclavage qu’ils ne crai- gnent de se séparer (*).

On a dit, on a écrit (b) que le serin qui s’allie avec tant d’autres espèces, ne s’alliait jamais avec celle du bouvreuil ; et on en a donné pour raison que le mâle bouvreuil ouvre le bec lorsqu’il est en amour, et que cela fait peur à la serine ; mais c’est une nouvelle preuve du risque que l’on court en avançant légèrement des propositions négatives qu’un seul fait peut réfuter et détruire. M. le marquis de Piolenc m’a assuré avoir vu un bouvreuil mâle apparié avec une femelle canari, que de cette union il résulta cinq petits qui étaient éclos vers le commencement d’avril ; ils avaient le bec plus gros que les petits serins du même âge, et ils commençaient à se revêtir d’un duvet noirâtre, ce qui donnait lieu de croire qu’ils tiendraient plus du père que de la mère : malheureusement ils moururent tous dans un petit voyage qu’on tenta de leur faire faire. Et ce qui donne du poids à cette observation, c’est que Frisch indique la manière d’apparier le mâle bouvreuil avec la femelle canari : il conseille de prendre ce mâle de la plus petite taille parmi ceux de son espèce, et de le tenir longtemps dans la même volière avec la femelle canari : il ajoute qu’il se passe souvent une année entière avant que cette

(a) Gessner en a pris beaucoup pendant l’hiver, leur présentant pour tout appât des graines rouges de solanum vivace, p. 734. D’autres les attirent avec les grains de genièvre, de chènevis, etc.

(b) Traité du serin de Canarie, p. 23. Paris, 1707.

(*) « Ce qui domine tout son être, dit Brehm père, c’est l’amour de ses semblables. Un d’eux est-il tué, les autres se lamentent, ne peuvent se décider à quitter le lieu où gît leur compagnon ; ils veulent l’emmener avec eux. Cet attachement qu’ils ont ainsi les uns pour les autres donne lieu souvent à des scènes touchantes. Je tirai un jour un bouvreuil mâle qui était perché sur une haie avec un de ses camarades ; celui-ci s’envola, je le perdis de vue, mais bientôt il revient et se plaça au même endroit où il avait perdu son ami. Je pourrais citer bien d’autres exemples encore. »